REPORTAGE« Les garçons arrivent pas à intégrer qu’on puisse parler de harcèlement »

Sexisme, harcèlement, « revenge porn »... On a suivi un atelier de sensibilisation auprès d'adolescents

REPORTAGEMalgré le contexte sanitaire, l’association En avant toutes ! propose des ateliers de sensibilisation à l’égalité entre les hommes et les femmes auprès d’adolescents
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Treize adolescents âgés de 13 à 19 ans ont débattu et échangé sur les relations filles-garçons lors d’un atelier organisé en début de semaine par l’Espace jeunes du 17e arrondissement de Paris en collaboration avec l'association En avant toutes !.
  • Pendant deux heures, les filles ont témoigné du sexisme ambiant qui s’exprime quotidiennement dans la cour des collèges et lycées.
  • Un sexisme qui se perpétue aussi en ligne à travers certaines pratiques numériques.

En ce lundi de vacances scolaires, les adolescents arrivent au compte-gouttes à l’Espace jeunes du 17e arrondissement de Paris. Sneakers aux pieds, un premier groupe de filles s’installe sur les chaises disposées en cercle dans l’une des salles de l’établissement municipal, géré par Léo Lagrange-Nord ile de France. D’autres, venus du centre social Maurice Nogues dans le 14e arrondissement, ont traversé Paris pour participer à ce « débat sur le sexisme ». Pendant deux heures, les 13 adolescents âgés de 13 à 19 ans vont pouvoir décortiquer les relations filles-garçons.

« On est là pour toutes et tous vous écouter et, surtout, pour ne rien juger », détaille en préambule Ynaée, 31 ans, animatrice de cette session et fondatrice de l’association En avant toutes !, qui promeut l’égalité entre les femmes et les hommes depuis 2013. Séparés en groupes non-mixtes puis à nouveau réunis, les adolescents vont poser leurs mots, parfois pudiques ou crus, sur les conflits qui les animent, l’amour, l’amitié, les discriminations ou encore le revenge porn.

Deux réalités qui s’opposent

Dans les deux groupes, l’exercice est comparable. « Qu’est-ce que vous évoquent vos relations avec les garçons ? », demande Safiatou, chargée de prévention pour En avant toutes !. Réservées dans un premier temps, les filles s’ouvrent peu à peu sur leur quotidien de collégiennes ou lycéennes, marqué par un sexisme omniprésent. « Y’a quelques semaines, dans ma classe, y’a des gens qui sont intervenus par rapport à ce sujet et un des garçons a dit : "Ouais mais les femmes elles doivent faire le ménage", je trouvais ça pas bien, surtout que certains le pensent vraiment », raconte Léa*, agacée.

Des stéréotypes qui s’expriment jusque dans le foyer de certaines adolescentes. « Les parents par exemple, ils laissent sortir mon petit frère quand il veut et nous, les filles, on n’a pas le droit », regrette Maryam. La même rapporte aussi les « critiques » des garçons sur les tenues vestimentaires : « L’été, quand y’a des filles qui mettent des jupes ou des shorts, ils insultent ». « Ils les traitent de putes ou d’allumeuses », renchérit Léa.

« « Les parents par exemple, ils laissent sortir mon petit frère quand il veut et nous, les filles, on n’a pas le droit ! » »

Si toutes ne l’ont pas vécu, les plus âgées rient jaune à l’évocation du harcèlement de rue. Interrogée à ce sujet par Safiatou, Nora explique : « Quand on a pris le tramway pour venir ici, y’avait trois garçons qui parlaient entre eux en arabe – sauf que je comprends. Ils parlaient de moi, de mon physique. Quand j’ai compris, j’ai mis ma veste autour de ma taille […], mais ils ont pas arrêté. » Un phénomène que refusent parfois de voir les garçons, note Julie : « En gros, comme ils sont les "dominants", pour eux, leur réalité c’est celle de tous. Alors que nous, notre réalité elle est complètement différente. Ils arrivent pas à intégrer qu’on puisse parler de harcèlement. »

Le poids de la rumeur

Après ce premier temps d’échange, le groupe se réunit pour une deuxième séquence. Comme elles, les garçons ont formulé une série de questions destinées aux adolescentes. « Est-ce que vous trouvez ça normal que ce soit le garçon qui fasse le premier pas ? », « Trouvez-vous ça normal que les femmes aient un congé maternité plus long que les hommes ? », « Pourquoi la garde des enfants revient à la mère ? », « Pensez-vous qu’il puisse y avoir une amitié fille-garçon sans arrière-pensée ? ».

Le débat s’engage alors sur ce dernier sujet. Naël, adolescent volubile et rigolard, développe : « On est arrivé à cette dernière question parce qu’on se disait que quand un garçon est ami avec une fille, c’est pas entre eux qu’il y avait des arrières pensés, mais des gens extérieurs, qui allaient dire : "S’il est ami avec elle, c’est qu’il est forcément amoureux d’elle, etc." »

Les exemples en ce sens fusent, et tous pointent le poids de « la rumeur » d’une sexualité « cachée » derrière ces amitiés fille-garçon. « Il pourrait y avoir quoi comme rumeurs et est-ce qu’elles sont différentes pour les filles ou les garçons ? », demande Ynaée. Nathan, d’emblée, assure : « Y’en a qui peuvent se dire que c’est une fille facile ». Une « insulte » qui trouve cet équivalent masculin : « Un garçon, on va dire que c’est un "charo" », abréviation de « charognard », traduit Naël. Là encore, les adolescents notent une différence de traitement entre les sexes : « Quand un garçon est charo, ses amis vont l’encourager, lui dire c’est bien. Alors qu’une fille facile on va lui dire : "Mais t’as pas honte ?" ». Nora renchérit : « Pour nous c’est un défaut, mais pour eux c’est un défaut-qualité. C’est pas tout à fait une qualité, mais ils peuvent s’en vanter. »

« Faut assumer »

Et cette rumeur peut être parfois amplifiée par les usages des adolescents sur les réseaux sociaux. « Il peut y avoir des photos, des screenshot (des captures d’écrans) ou des sextapes », illustre Léa. Soucieuse d’alerter sans « juger » les pratiques numériques des jeunes, Ynaée rappelle : « Généralement, une sextape, c’est quelque chose qu’on fait volontairement dans son couple et c’est à vocation intime, pour le garder pour soi. » La crainte de la diffusion d’images intimes « par vengeance » est, là encore, soulevée par une majorité de filles.

Pour autant, en cas de publication d’images intimes, c’est la responsabilité des adolescentes qui est mise en cause : « Toute chose qu’on fait peut avoir des conséquences. Si tu assumes, que t’as peur de rien, tu t’en fous mais quand tu réfléchis, que tu te dis que quelqu’un peut faire des captures, faut faire attention, chacun est libre de faire ce qu’il veut mais faut assumer », estime Léa. Si les garçons reconnaissent l’existence de cette pratique, aucun ne la glorifie et plusieurs la condamnent ouvertement, comme Nathan : « C’est une question de valeurs et de confiance ! Si on me dit ou me confie quelque chose d’intime, je vais pas aller le répéter à d’autres ». Ynaée en profite pour rappeler au groupe que cette pratique, le revenge-porn, est punie par la loi. Léa, elle, tranche résignée : « On grandit en se disant "J’espère que ça va pas m’arriver". »

* Tous les prénoms des adolescents et adolescentes ont été modifiés