Etats-Unis : Pourquoi la plainte contre Google pourrait mettre l’entreprise en danger
GAFA•Moteur de recherche, navigateur, messagerie, comparateur de prix… Aujourd’hui, Google intervient dans de nombreux aspects de notre vie. Au détriment de ses concurrents ?Lucie Bras
L'essentiel
- Le gouvernement américain a lancé mardi des poursuites contre Google pour abus de position dominante.
- Une procédure qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur l’avenir du géant du numérique, dont plusieurs élus américains souhaitent le démantèlement.
- « La justice pourrait forcer Google à se dessaisir de certaines activités et à ne conserver que son moteur de recherche, par exemple », estime Francis Bloch, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne et à la Paris School of Economics.
En 1998, elle n’était qu’une start-up qui débutait en Californie. Au fil des années, Google s’est installée partout dans nos vies : sur notre téléphone, dans nos maisons et même dans notre vocabulaire courant (« J’ai dû googler ! »). Jusqu’à atteindre plus de 90 % des parts du marché américain. Cette omniprésence, dénoncée depuis plusieurs années, a conduit mardi les Etats-Unis à porter plainte contre le géant américain pour abus de position dominante. Même si la procédure doit durer des années, elle pourrait signer la fin de Google tel qu’on le connaît. Explications.
Sur quoi la plainte porte-t-elle ?
Concrètement, la plainte, déposée par le ministère de la Justice et 11 Etats, vise le moteur de recherche Google, installé par défaut sur de nombreux appareils et navigateurs (dont Chrome et Android, le système d’exploitation mobile du groupe, dominant dans le monde). Les plaignants accusent aussi le géant du numérique de forcer les consommateurs et les annonceurs à utiliser ses services via des applications mobiles qu’il est impossible d’effacer sur Android (comme Google Maps), ce qui restreint considérablement la concurrence.
« Toute entreprise doit respecter les règles du commerce. Mais quand elle atteint une certaine taille, on lui demande aussi de préserver le fonctionnement du marché », rappelle Jean-Baptiste Soufron, avocat spécialisé dans le numérique et ancien secrétaire général du Conseil national du numérique. « Elle ne peut pas se servir de sa taille pour empêcher le développement de nouvelles entreprises dans leur secteur. C’est ce qui est dénoncé aujourd’hui : si vous voulez rendre les mêmes services que Google, vous risquez d’être mis en difficulté par Google lui-même », détaille-t-il.
Comment a réagi Google ?
Mal. Et même très mal, si l’on en croit le communiqué publié dans la foulée de l’annonce de la plainte. « Les gens utilisent Google par choix et non parce qu’ils y sont forcés ou ne trouvent pas d’alternatives », s’est défendu Kent Walker, un vice-président du groupe de Mountain View après avoir qualifié la plainte de « douteuse ». « Ces poursuites ne feront rien pour aider les consommateurs. Au contraire, elles mettront en avant, de façon artificielle, des moteurs de recherche de moins bonne qualité, et feront monter les prix des téléphones », a-t-il conclu.
Pourquoi le timing de cette plainte fait-il polémique ?
Même si l’annonce a été saluée à gauche, d’aucuns ont reproché aux plaignants, tous républicains, d’avoir annoncé le dépôt de cette plainte à moins de deux semaines des élections américaines, prévues le 3 novembre.
Ces poursuites ont été « précipitées à la veille d’une élection où l’administration fait pression de manière agressive sur les entreprises de la tech pour qu’elles agissent en sa faveur », note Matt Schruers du Computer & Communications Industry Association, un groupe proche des grands noms du secteur. « Le droit de la concurrence devrait être guidé par les intérêts des consommateurs et non par des motivations politiques. »
Quelles peuvent être les conséquences pour Google ?
Le passage devant la justice pourrait coûter cher à Google. Les plaignants appellent à des changements « structurels » dans la compagnie californienne. Comprendre : un possible démantèlement de certains pans du leader de la recherche en ligne. « La justice pourrait forcer Google à se dessaisir de certaines activités et à ne conserver que son moteur de recherche, par exemple », estime Francis Bloch, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne et à la Paris School of Economics.
D’autant plus qu’aux Etats-Unis, il existe des précédents : en 1982, la société Bell, géant des télécommunications, avait été cassée en plusieurs entités régionales. En 1998, c’est Microsoft qui était pointé du doigt pour les mêmes raisons que Google. Le ministère avait failli réussir à démanteler l’entreprise, mais la procédure avait débouché sur un accord à l’amiable. « Ce procès, c’est une question de vie ou de mort pour Google. Pas tant pour le service en lui-même, qui continuera d’être rendu, mais pour son modèle économique gratuit d’un côté, payant de l’autre », explique Jean-Baptiste Soufron.
Est-ce un avertissement pour les autres Gafa ?
Facebook, Amazon et Apple sont-ils les prochains sur la liste ? « J’ai du mal à comprendre pourquoi on singularise Google sachant que c’est aussi vrai pour Facebook et Amazon, même si les parts de marché ne sont pas les mêmes. Toutes ces entreprises cumulent beaucoup de casquettes. Elles se retrouvent souvent juge et partie », analyse Francis Bloch.
« Ce ne sont pas tout à fait les mêmes questions qui se posent mais leur modèle économique est similaire, et on peut d’attendre à des ouvertures de procédures supplémentaires dans le même sens », pointe Jean-Baptiste Soufron.
En attendant, le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley s’est réjoui des poursuites contre Google, affirmant qu’il s’agirait « du procès pour abus de position dominante le plus important de la génération ».