INTERVIEW« Les applications de traçage ont montré leurs limites »

Coronavirus : « Même les applications de traçage installées massivement ont montré leurs limites », estime le chercheur Olivier Blazy

INTERVIEWPour Olivier Blazy, chercheur et maître de conférences en informatique à l’université de Limoges, un outil de traçage numérique n’est pas « indispensable » pour lutter contre l'épidémie de coronavirus
Hélène Sergent

Propos recueillis par Hélène Sergent

L'essentiel

  • Une nouvelle application de traçage intitulée « Tous Anti-Covid » sera lancée le 22 octobre prochain, a annoncé Emmanuel Macron.
  • Avec seulement 7.969 utilisateurs déclarés positifs au coronavirus et 2,6 millions de téléchargements, la précédente application, StopCovid, n’a pas permis d’endiguer la hausse des contaminations.
  • Pour le chercheur Olivier Blazy, la future application chargée de remplacer StopCovid doit proposer davantage d’informations aux utilisateurs et être « rassurante » pour susciter une véritable adhésion.

«Ce n’est pas un échec, mais ça n’a pas marché. » Quatre mois à peine après son lancement, l’application de « traçage » des cas positifs au coronavirus, StopCovid, a été officiellement enterrée par Emmanuel Macron lors de son interview télévisée du 14 octobre. Téléchargée seulement par 2,6 millions de personnes en France, StopCovid n’aura envoyé que 472 notifications à de potentiels cas contacts, selon des chiffres gouvernementaux communiqués la semaine dernière.

Mais l’exécutif entend corriger le tir avec une nouvelle application. Intitulée « Tous Anti-Covid », elle devrait voir le jour le 22 octobre prochain. Quelles leçons faut-il tirer de cet échec et pourquoi StopCovid n’a-t-elle pas obtenu les résultats escomptés ? Olivier Blazy, maître de conférences en informatique et responsable du master de cybersécurité à l’université de Limoges, répond aux questions de 20 Minutes.

Olivier Blazy, maître de conférences en informatique et responsable du master de cybersécurité à l’université de Limoges.
Olivier Blazy, maître de conférences en informatique et responsable du master de cybersécurité à l’université de Limoges.  - O.Blazy

Pourquoi l’application StopCovid a-t-elle échoué dans sa mission première, à savoir alerter et prévenir l’augmentation des contaminations ?

L’application n’a pas produit les résultats escomptés parce qu’on a placé en elle trop d’espoirs par rapport aux moyens déployés. Elle devait être le « Saint-Graal » et limiter le nombre de contaminations alors que ce n’est qu’un outil. Et cet outil devait venir en complément de nombreux efforts, comme l’avait rappelé la Cnil au moment de son lancement. Elle devait venir en renfort de la réponse hospitalière et de la montée en puissance des tests de dépistage. Or on s’est retrouvé dans des cas où les rares personnes alertées par StopCovid devaient parfois attendre plusieurs semaines pour pouvoir se faire tester.

Ensuite, la communication du gouvernement axée sur la sécurité et la protection des données personnelles s’est heurtée aux alertes émises par la communauté scientifique. Et au-delà du faible nombre de téléchargements, la technologie choisie pour tracer nos interactions – le Bluetooth – n’est pas forcément adaptée*. Plusieurs études récentes ont mis en lumière le fait que la détection de la distance entre utilisateurs restait très approximative.

Est-ce que c’est une particularité française ?

Par rapport à certains voisins européens, la France a vraiment un bilan catastrophique d’un point de vue des téléchargements de l’application. Mais au-delà de ça, même les applications de traçage installées massivement ont montré leurs limites. C’est le cas en Islande, par exemple. Alors que près de 40 % de la population a installé l’application, les autorités ont récemment déclaré que l’impact sur la propagation de l’épidémie n’était pas suffisant pour continuer de la déployer.

En cinq mois, plus de 2 millions de personnes ont été identifiées et appelées par les « brigades » de la Sécurité sociale chargées du « contact tracing », dont 550.000 « patients diagnostiqués positifs » et 1,5 million de « cas contacts ». Un outil numérique est-il vraiment indispensable au regard de ces résultats humains, plutôt positifs ?

J’aurais tendance à dire que non. Pour développer un tel outil, il faut prendre le temps de la réflexion. La maladie, c’est quelque chose qui touche à l’intime, et mettre de la technologie là-dedans, ça peut être un frein pour les gens. Quand une personne apprend une mauvaise nouvelle, en l’occurrence qu’elle est atteinte du coronavirus, je ne sais pas si son premier réflexe est de rentrer un code dans l’application pour se déclarer positif.

Evidemment, ça doit rester un acte volontaire, et c’est très bien d’avoir opté pour cette solution, mais le fait est que c’est rarement un réflexe. Peut-être aurait-il fallu imaginer « une piqûre de rappel » par téléphone, par exemple, pour inciter les malades à se déclarer sur l’application une fois le diagnostic posé. Là, le fait que cela passe uniquement par une technologie, ça n’aide pas à « digérer » l’annonce de la maladie. Quoique fasse la machine, il faut de l’humain derrière, notamment pour appeler les cas contacts.

Quelles seraient les conditions nécessaires, selon vous, pour que la future application « Tous Anti-Covid » fonctionne, là où StopCovid a échoué ?

Il faut donner davantage d’informations aux utilisateurs. Les gens sont angoissés par l’épidémie. Leur dire, à travers cet outil, que leur région est visée par des dispositifs spécifiques ou qu’ils peuvent s’orienter vers telle ou telle structure pour se faire dépister s’ils sont cas contact, ça peut être bien. Quand les utilisateurs activaient StopCovid, ils n’avaient aucune indication sur le fonctionnement en temps réel de l’application. Ils ne savaient pas combien de personne avaient été détectées grâce à l’application par exemple, or ça peut être un indicateur rassurant.

On pourrait aussi imaginer que l’outil donne à l’utilisateur le nombre de ses contacts rapprochés quotidiens. En fonction de ce chiffre, on pourrait adapter nos comportements. À mon sens, on n’a pas suffisamment travaillé sur le rôle « rassurant » que l’application pouvait avoir dans ce contexte. Ces évolutions demandent simplement une approche différente de « l’expérience utilisateur ». Evidemment, il n’est pas question de saturer l’application de boutons inutiles. Quand on voit déjà que le Premier ministre n’a même pas été en mesure de télécharger l’application, ce n’est pas la peine de développer un outil trop compliqué.

*D’autres pays ont opté pour la géolocalisation.