Faudra-t-il bientôt justifier son âge pour regarder du porno ?
PROTECTION DES MINEURS•Un amendement voté au Sénat avec le soutien du gouvernement vise à renforer la protection des mineurs en imposant un contrôle d’âge aux éditeurs de sites pornographiquesThibaut Le Gal
L'essentiel
- Un amendement voté au Sénat souhtaite renforer la protection des mineurs vis-à-vis de la pornographie sur Internet.
- Le texte veut imposer un contrôle d'âge plus important aux éditeurs de sites pornographiques.
- Mais un projet similaire votée au Royaume-Uni en 2017 avait finalement été abandonné en raison des difficultés d'application et des risques sur les données.
Faudra-t-il bientôt justifier avoir plus de 18 ans pour accéder à un site porno en France ? Les sénateurs ont voté, dans la nuit de mardi à mercredi, un amendement à la proposition de loi sur les violences conjugales pour renforcer la protection des mineurs concernant l’exposition à la pornographie. Le texte, qui a reçu le soutien du gouvernement, vise à imposer un contrôle d’âge bien plus contraignant aux éditeurs de sites pornographiques, sous peine de sanction. Mais l’application de cette loi et les modalités de contrôle de l’âge des internautes posent de nombreuses questions.
De quoi parle-t-on ?
Aujourd’hui, pour accéder à n’importe quel site pornographique gratuit, il suffit de confirmer avoir 18 ans ou plus, d’un simple clic.
Un amendement déposé par la sénatrice LR Marie Mercier souhaite renforcer le contrôle d’accès à ces sites X afin de protéger les mineurs. « La diffusion de contenu pornographique aux mineurs est déjà interdite par la loi*. Mais dans les faits, on sait que de nombreux jeunes ont déjà vu un film porno dès leur entrée au collège, c’est effrayant », assure l’élue de Saône-et-Loire. « En réalité, de nombreux sites ont renoncé à mettre en place un véritable contrôle, car cela génère de l’audience. »
Que propose le texte ?
L’amendement du Sénat vise à imposer un contrôle d’âge plus contraignant aux éditeurs de sites pornographiques. « Des solutions existent déjà », assure Marie Mercier. « Il y a les systèmes utilisant les empreintes de cartes bancaires ou encore France Connect [un dispositif d’identité numérique géré par l’Etat et permettant notamment de payer ses impôts]. Ces solutions d’identification fonctionnent pour les sites de jeux d’argent en ligne, alors pourquoi ne pas les utiliser pour le porno ? », interroge la sénatrice.
En cas de refus, l’amendement propose « d’instituer une nouvelle procédure » permettant au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’adresser « une injonction de se mettre en conformité avec la loi ». Marie Mercier précise : « Ces plateformes auront 15 jours pour le faire, sinon le CSA se tournera vers le tribunal judiciaire, qui pourra fermer l’accès de ces sites en France par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès à Internet ».
Des menaces pour les libertés ?
Si la proposition de loi n’impose aucune technique de contrôle aux plateformes, les solutions évoquées par l’amendement posent plusieurs problèmes. L’empreinte bancaire ne permettrait pas de renforcer le contrôle sur l’ensemble des mineurs puisqu’un jeune peut avoir sa propre carte bleue à partir de 16 ans.
« L’utilisation de France Connect est problématique car l’Etat aura l’information que vous vous êtes connecté à tel ou tel site et pourra ainsi avoir des informations – par exemple votre orientation sexuelle, ce qui est contraire à l’article 9 du RGPD », indique Olivier Blazy, maître de conférences en informatique à l’université de Limoge. « Cet historique collecté par France Connect, qu’on ne peut pas supprimer, pourrait aussi servir de moyens de pression à des personnes mal intentionnées, dans un couple par exemple, ou en cas de vols de données. »
Par ailleurs, les internautes seront-ils prêts à livrer des données personnelles et à utiliser le même outil pour payer leurs impôts et regarder du porno ? « Ces propositions vont à l’encontre des préconisations de la Cnil, qui estime qu’il faut au contraire avoir plusieurs identités numériques en ligne, une pour les services administratifs, une pour les loisirs », ajoute le spécialiste. Ce dernier précise toutefois que l’utilisation d’un simple VPN, qui permet de naviguer de manière privée et sécurisée, pourrait permettre de contourner ces contrôles.
Et maintenant ?
Les sénateurs doivent désormais trouver un accord avec les députés en commission mixte paritaire. Mais l’adoption définitive de l’amendement paraît probable, puisqu’il a reçu l’avis favorable du gouvernement. Par ailleurs, cette proposition rejoint les demandes d’Emmanuel Macron. En novembre 2019, le président de la République appelait à « généraliser des dispositifs de vérificateurs d’âge efficaces sur des sites pornographiques », menaçant de « bloquer les sites qui ne [les] respecteront pas ».
Même voté, sera-t-il possible de contraindre des géants du porno, installés en dehors du territoire français, à appliquer ces mesures ? Au Royaume-Uni, une loi similaire avait été adoptée en 2017. Mais après deux ans de polémiques et d’inquiétude sur la vie privée des utilisateurs, le gouvernement britannique y avait finalement renoncé.
* La justice prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.