Réseaux sociaux : Tout comprendre à la bataille qui oppose Donald Trump, Twitter et Facebook
MODÉRATION•En agissant sur deux messages publiés par Donald Trump sur Twitter, le réseau social a suscité un débat qui pourrait avoir des conséquences pour tous les internautesHélène Sergent
L'essentiel
- À deux reprises, la semaine dernière, Twitter a décidé d’accompagner certaines publications du président américain de messages de prévention.
- Donald Trump a dénoncé l'« ingérence » de la plateforme et a riposté en signant un décret visant à modifier le statut de simple « hébergeur de contenus » de ces réseaux.
- Appelé à réagir, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook a critiqué la stratégie de Twitter et a expliqué pourquoi les deux messages diffusés par Trump sur son site n’avaient, eux, pas été supprimés ni signalés aux internautes.
Jamais le bras de fer n’avait été si vif. En prenant la décision, le 26 mai dernier, d’agir sur un message du président américain publié sur sa plateforme, le réseau social Twitter a lancé un débat complexe et suscité la colère de Donald Trump. Les géants du numérique doivent-ils, seuls, avoir la main sur les contenus diffusés sur leur site ? Doivent-ils devenir des « arbitres de la vérité » ou revendiquer au contraire un simple statut « d’hébergeur de contenus » ?
Toutes ces questions traversent aujourd’hui les Etats-Unis dans un contexte de polarisation du débat politique, accentuée par l’épidémie de coronavirus et les émeutes et manifestations liées à la mort de Georges Floyd. Si Twitter revendique et assume son choix de « modérer » les publications du chef de l’Etat, Facebook estime au contraire ne pas être dans son rôle en modifiant ou en recontextualisant les messages postés par Donald Trump. Comment ce sujet a-t-il surgi outre-Atlantique et pourquoi ? Quelles stratégies les différents acteurs ont-ils choisi d’adopter et quelles conséquences pourraient-elles avoir ? 20 Minutes fait le point.
- Quel événement est à l’origine de ce bras de fer ?
Mardi 26 mai, les 81 millions d’internautes abonnés au compte Twitter de Donald Trump ont eu la surprise de découvrir une phrase bleutée sous un message posté par le chef d’Etat américain. La mention « vérifiez les faits » a été accolée à ce tweet dans lequel le président dénonce la nature « frauduleuse » du vote par correspondance dans le processus électoral américain. En cliquant sur cette mention, l’internaute est redirigé vers plusieurs articles de presse démontrant pourquoi cette affirmation est largement exagérée.
« Ce dispositif existait depuis plusieurs semaines et a été lancé dans le cadre de la crise du coronavirus. Twitter souhaitait s’engager contre les fake news, les fausses nouvelles relatives à l’épidémie. C’est la première fois en revanche que le dispositif a été utilisé pour chef d’Etat sur un autre sujet que celui lié au Covid-19 », explique Tristan Mendès France, enseignant au Celsa spécialisé dans les nouveaux usages numériques.
Dans un long post de blog publié le 11 mai, deux cadres de Twitter expliquaient que la plateforme réfléchissait en effet à accoler cette mention pour d’autres sujets que ceux liés au virus. Si le message du président n’a été ni supprimé ni masqué, la simple mention de vérification a suffi à provoquer la colère de Donald Trump.
Le 29 mai, Twitter enfonçait le clou en décidant cette fois de masquer un message du président américain. Réagissant aux affrontements survenus à Minneapolis après la mort d’un homme noir George Floyd, asphyxié par des policiers, Donald Trump avait écrit : « Les pillages seront immédiatement accueillis par les balles. » Une expression considérée comme risquant d’inciter à la violence.
Estimant que le message enfreignait les règles de Twitter et participait à « glorifier la violence », la plateforme a choisi de modérer le contenu laissant le choix à l’internaute de cliquer pour voir apparaître le tweet. Jamais, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump n’avait fait l’objet d’une telle politique de modération de la part du site.
- Pourquoi Twitter a décidé d’agir sur les publications de Donald Trump ?
Vivement critiqué par le président américain et par ses soutiens, le PDG de Twitter, Jack Dorsey, s’est exprimé dans un premier temps sur la mention de « fact-checking » relative au vote par correspondance. « Nous continuerons de pointer toutes les informations incorrectes ou contestées relatives au processus électoral. Nous reconnaîtrons nos erreurs si nous en faisons. Cela ne fait pas de nous des "arbitres de la vérité". Notre intention est simplement de confronter toutes les affirmations litigieuses avec d’autres sources d’information pour que toute personne puisse ensuite juger par elle-même », s’est-il justifié. Une position qui témoigne d’un engagement plus frontal engagé récemment sur ce sujet par la firme, à quelques mois de la prochaine élection présidentielle américaine.
Le 29 mai, le service communication du réseau a également fourni des éléments de réponse relatifs au deuxième message, cette fois masqué par la plateforme : « Ce tweet a enfreint les règles de Twitter relatives à la glorification de la violence. Toutefois, Twitter estimé que sa visibilité peut présenter un intérêt pour le public. » Les interactions – réponse au tweet, mention « j’aime » ou retweet – avec ce message ont également été désactivées.
Pour l’enseignant Tristan Mendès France, l’action de la plateforme s’inscrit dans un contexte de polarisation accrue du débat politique aux Etats-Unis : « Trump est un personnage de premier plan. Il fait partie des plus gros utilisateurs mondiaux de Twitter, il a une responsabilité majeure en étant à la tête de la première puissance mondiale. Il ne semble pas illégitime que Twitter se penche sur son compte dans la mesure où il est l’un des comptes les plus influents de la planète, comme la plateforme pourrait le faire avec n’importe quel compte suivi par des millions de personnes qui tiendrait des propos violents. À visibilité accrue, responsabilité accrue ».
- Qu’est-ce que la signature du décret par Donald Trump peut changer pour les plateformes ?
Prompt à la riposte, Donald Trump a immédiatement réagi à l’action de Twitter en signant le 28 mai, un décret permettant au régulateur américain des télécommunications, la FCC, d’enquêter et d’agir pour s’assurer que les réseaux sociaux n’appliquent pas de « censure » politique dans leurs stratégies de modération.
Ce décret vise donc à réguler une loi majeure aux Etats-Unis, la « section 230 » du « Communications Decency Act » de 1996. Ce texte offre à Facebook, Twitter, YouTube ou Google une immunité contre toute poursuite judiciaire liée aux contenus publiés par les internautes et leur donne la liberté d’intervenir comme ils le souhaitent sur les plateformes.
Si le décret n’a pas encore de valeur législative, l’enjeu pour les réseaux sociaux est majeur, analyse Tristan Mendès France : « Son application poserait un problème gigantesque puisque cela reviendrait à dire que Twitter ou toute plateforme sociale deviendraient coauteur et coresponsable pénalement de tous contenus répréhensibles postés sur le site. Si ce décret aboutit en loi, ce serait un big bang dans l’univers du numérique puisque les réseaux sociaux seraient contraints à verrouiller considérablement tous les contenus et donc de modérer à outrance ».
- Pourquoi la position de Facebook sur le sujet fait-elle polémique ?
Contacté par la chaîne conservatrice Fox News pour réagir à la stratégie de Twitter, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, s’est montré particulièrement critique. Selon lui, les plateformes sociales ne doivent pas jouer le rôle « d’arbitres de la vérité en ligne ».
Si sa réaction a été immédiatement saluée par le chef d’Etat américain, elle a aussi fait l’objet de vives critiques au sein même de l’entreprise. Plusieurs cadres de Facebook ont publiquement exprimé leurs désaccords et appelé le PDG de Facebook à s’engager contre les propos du président américain. En effet, les messages publiés par Donald Trump sur son compte Twitter officiel sont postés à l’identique sur la page Facebook du président. Mais contrairement à Twitter, Facebook a estimé que le message concernant les émeutes de Minneapolis ne devait pas être supprimé.
Le 30 mai, Mark Zuckerberg a expliqué, dans un long message publié sur son profil Facebook, les raisons qui ont poussé la plateforme à maintenir le post de Donald Trump relatif à la répression des émeutes de Minneapolis. « Le Président, dans un second message a explicité le premier en disant qu’il alertait simplement sur la possibilité que les pillages aboutissent à des formes de violence (…) décourageant ainsi explicitement cette violence. On a estimé que ce contenu ne violait pas notre politique interne », a écrit le PDG de Facebook.
Contrairement à Twitter, Facebook a mis en place une politique de modération stricte : soit le contenu contrevient aux règles du site et il est supprimé, soit il ne contrevient pas aux règles et reste visible pour les utilisateurs. Un système de filtre comme celui mis en place par Twitter n’existe pas sur ce réseau.
Une différence technique qui pose effectivement un risque accru de censure évoqué par Mark Zuckerberg. Condamnant à titre « personnel » la « rhétorique clivante et incendiaire » du président, le patron de Facebook a tenu à insister : « Je sais que beaucoup de gens sont mécontents (…) mais notre position est de faciliter le plus d’expression possible, à moins d’un risque imminent d’atteinte aux autres ou de dangers tels que décrits dans notre règlement. »