Les forums de haine peuvent-ils disparaître du Web?
RESEAUX SOCIAUX•Le site 8Chan, repaire des suprémacistes blancs américains mis en cause après la fusillade d'El Paso, a vu sa présence en ligne compromise après avoir perdu la protection des réseaux de distribution de contenuH. B. avec AFP
La plateforme de discussions 8Chan, connue pour être un eldorado de la liberté d’expression, est aujourd’hui devenue le lieu de rencontre privilégié des personnes racistes et extrémistes. C’est sur les pages de ce forum de discussion américain qu’ont été publiés des manifestes racistes et anti-immigrés attribués aux auteurs de la tuerie dans une mosquée de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en mars, ainsi que de la fusillade dans la synagogue de Poway (Californie) le 27 avril et de celle samedi dans un hypermarché d’El Paso (Texas).
Le site 8Chan, décrié après la fusillade d'El Paso, a vu cette semaine sa présence en ligne compromise après avoir perdu la protection des réseaux de distribution de contenus, de grands acteurs d’Internet indispensables pour toucher une audience mondiale et dont le rôle peut être essentiel pour endiguer les « forums de haine ».
Quel avenir pour 8Chan ?
D’ordinaire, les fournisseurs techniques n’interfèrent pas dans les données qui transitent par leurs réseaux. Mais dimanche, Matthew Prince, patron de l’entreprise Cloudflare qui fournissait entre autres des services de CDN à 8Chan, a qualifié le forum de « cloaque rempli de haine » et rompu leur contrat. 8Chan a ensuite migré vers un autre CDN, BitMitigate -qui s’est lui-même retrouvé mis hors ligne momentanément par son propre fournisseur d’infrastructure informatique, Voxility, sous la pression du public. Depuis, le forum 8Chan n’est plus accessible que par intermittence.
« Si CloudFlare a décidé de couper les accès de 8Chan, ils l’ont fait pour l’image de l’entreprise. On est sur le terrain de la pression de l’opinion publique », et non d’un cadre juridique contraignant, observe Tristan Mendès-France, maître de conférences associé à Paris Diderot, spécialisé dans les cultures numériques. De fait, « tous les vecteurs d’information sont aujourd’hui amenés à s’auto-réguler », car « les juridictions nationales sont très vite limitées face aux acteurs internationaux », abonde Christiane Féral-Schuhl, avocate spécialiste du numérique.
La loi française par exemple reconnaît un « principe d’irresponsabilité » des fournisseurs d’accès à Internet, étendu aux hébergeurs à condition qu’ils suppriment les contenus illicites leur étant signalés. Mais des acteurs techniques comme les plates-formes, moteurs de recherche ou distributeurs de contenus brouillent les rôles.
Les forums de haine peuvent-ils subsister sur le web ?
« La vocation d’Internet est d’avoir une continuité d’accès au contenu », explique Gérôme Billois, expert en cybersécurité chez Wavestone. Autrement dit, il sera toujours possible d’héberger du contenu quelque part sur le réseau. Selon lui, les sites proposant des contenus violents ou haineux peuvent passer sur des réseaux alternatifs comme le "darknet" (où le contenu est difficile à localiser et à supprimer) ou chercher un « hébergeur blindé », c’est-à-dire indulgent face aux contenus néfastes et suffisamment robuste face aux attaques.
Ils peuvent aussi recourir à une chaîne de blocs ou « blockchain » (technologie permettant à une communauté d’utilisateurs de tenir en ligne une sorte de grand registre commun) pour rendre les messages postés infalsifiables, ou à des réseaux sociaux décentralisés.
« Oui, ces sites peuvent réapparaître, mais contrairement aux idées reçues, ils ne réapparaîtront pas plus forts ailleurs », tempère Tristan Mendès-France. Selon lui, « ils vont perdre en capacité de nuisance et de viralité ». Or, « leur enjeu est de toucher le plus de monde possible. S’il faut passer par de la technicité pour y accéder, ils vont perdre toute leur visibilité ».