Cyberharcelé(e)s: «On m’a comparée à une poupée gonflable, à une "Marie-couche-toi-là", c’était tellement dégradant», raconte Lydia Frentzel
PRIS POUR CIBLE•Lydia Frentzel, conseillère EELV à la mairie de Marseille, a été la cible d’une campagne violente de cyberharcèlement après avoir été victime de propos sexistes de la part d’un élu RN lors d’un conseil municipalPropos recueillis par Hakima Bounemoura
L'essentiel
- Stéphane Ravier, sénateur RN des Bouches-du-Rhône, a eu des propos sexistes à l’encontre de Lydia Frentzel lors d’un conseil municipal de Marseille en février dernier.
- A la suite de cet incident, Lydia Frentzel, conseillère municipale EELV, a été la cible d’une campagne violente de cyberharcèlement.
- Pendant près d’un mois, elle a été victime d’attaques violentes et d’insultes sexistes.
- Lydia Frentzel a aussi reçu énormément de soutiens de femmes qui ont tenu à témoigner des attaques sexistes qu’elles rencontrent au quotidien.
Voici l’histoire de Lydia Frentzel, conseillère EELV à la mairie de Marseille. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de cette cyberviolence. Si vous avez été victime de cyberharcèlement, écrivez-nous à [email protected].
« Ça ne s’arrêtait plus. Durant près d’un mois, j’ai subi un déchaînement d’insultes et de propos sexistes sur Internet. Ça a commencé trois jours très exactement après mon altercation avec le sénateur du Rassemblement national (RN) Stéphane Ravier. En février dernier, lors d’un débat houleux au conseil municipal de Marseille dans lequel j’étais chahutée par des élus RN, j’ai lancé à Stéphane Ravier que je le retrouverai sur le terrain "dans les 13e et 14e arrondissements" où il est élu, faisant ainsi référence à la prochaine campagne pour les municipales. A haute voix, depuis l’autre bout de l’hémicycle, celui-ci m’a alors répondu, tout fier : « Toujours au même hôtel, à la même heure ? », sous-entendant que j’étais une prostituée et que j’avais des relations habituelles avec lui… Une insulte sexiste que je n’ai pas laissé passer, et à laquelle j’ai répondu en déposant plainte pour « injure publique à caractère sexiste ».
Cette affaire a rapidement été médiatisée, voire ultra-médiatisée. L’incident s’est produit le lundi, et 72 heures après, j’étais la cible d’une campagne violente de cyberharcèlement. Insultée sur les réseaux sociaux, caricaturée en prostituée, traitée de "constipée aux discours de vierge effarouchée", de "Marie-couche-toi-là", j’ai subi pendant près d’un mois une vague de harcèlement sexiste de la part de la fachosphère, ce que certains appellent aujourd’hui " du cyberharcèlement en meute". Certains disaient que je l’avais bien cherché, que ma tenue vestimentaire était trop provocante ou bien au contraire que j’étais frigide, totalement coincée… Tout était bon pour justifier les propos de M. Ravier, et ainsi défendre les prises de position du Rassemblement national.
« L’un des articles était illustré avec une photo de poupée gonflable, avec une bouche qui en dit long… »
Inquiète de voir tant de propos haineux à mon encontre, j’ai créé une alerte sur Google pour pouvoir "gérer" tout ce qui était écrit sur moi. Et c’est là que j’ai découvert les articles de Riposte laïque. Ce site d’extrême droite a publié trois papiers très virulents à mon encontre, qui ont alimenté les insultes que je recevais sur les réseaux sociaux. L’un d’eux, qui me qualifiait de "nouvelle copine de Schiappa", a été vu plus de 13.000 fois. Il était illustré par une photo de poupée gonflable, avec une bouche qui en dit long… Ça m’a mis hors de moi. Et ça a aussi beaucoup touché mes filles. C’est ce qui m’a décidé à dire stop à toute cette médiatisation. J’ai arrêté pendant quelque temps de répondre à la presse, et ainsi d’alimenter cette "affaire", pour me préserver moi et ma famille. C’était devenu trop dur à gérer…
Mon avocat a rapidement signalé ce site auprès de la justice et des organismes compétents. On a tout essayé pour faire supprimer ces articles, mais comme la plateforme est hébergée à l’étranger, c’est un véritable parcours du combattant.
Je pensais que le pire était derrière moi, mais la présidente du Rassemblement national en personne a remis de l’huile sur le feu, quelques jours après. Interrogée sur France Inter au sujet de cet incident, Marine Le Pen a minimisé les faits, estimant qu'"on pouvait trouver que c’était [les propos de M. Ravier] une blague de mauvais goût", mais que ce n’était pas pour autant "qu’il fallait faire une police de la blague de mauvais goût". Après ces déclarations, j’ai eu le droit à une deuxième vague de cyberharcèlement.
« J’ai été complètement dépassée par l’emballement médiatique »
Je ne m’attendais pas à ce que cette histoire prenne de telles proportions. Ma nièce m’a même téléphoné depuis Chypre pour me prévenir que des "choses" tournaient sur moi sur Internet. J’ai été complètement dépassée par l’emballement médiatique, puis par les commentaires et les insultes qui ont suivi. Tout au long de notre parcours de vie et de notre parcours politique, on vit ce genre de choses. J’ai connu des déstabilisations en politique, c’est quelque chose de récurrent, mais des déstabilisations à ce point sur les réseaux sociaux pour donner raison à l’extrême droite, je ne m’y attendais pas.
Retrouvez les épisodes de la série.
La seule chose positive dans tout ça, ce sont les très nombreux soutiens que j’ai reçus, des témoignages de sympathie d’associations féministes, de partis politiques, de syndicats mais aussi d’autres femmes qui m’ont fait part de leur quotidien. Leur parole s’est libérée, elles m’ont écrit de partout en France, même de Kabylie, pour me confier leurs situations, professionnelles et personnelles. J’étais à leurs yeux un modèle, un exemple d’une femme qui ne se laisse pas faire, et qui dit "stop". Je n’ai jamais reçu de confidences aussi fortes… »