SERIE 3/5Les comptes anonymes militants, une communication risquée pour les partis

Européennes 2.0: Les comptes anonymes militants, une communication à risque pour les partis

SERIE 3/5A l’occasion des élections européennes, « 20 Minutes » explore les nouvelles stratégies de campagne en ligne. Troisième épisode : l'utilisation par les partis des comptes anonymes
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Plusieurs partis politiques s’appuient sur un réseau important de comptes militants anonymes sur Twitter et Facebook pour faire campagne en ligne.
  • Rares sont ceux en revanche qui assument pleinement le « pilotage » direct de ces comptes anonymes militants.
  • Jugée «moralement répréhensible» par certaines équipes de campagne ou chercheurs, cette pratique non sans-risque pour les candidats resterait marginale en France.

Ils n’affichent ni photo, ni nom et privilégient les biographies cryptiques. Pourtant certains de ces comptes anonymes sont suivis sur les réseaux sociaux par des milliers d’internautes et militent quotidiennement en faveur d’un parti ou d’une personnalité politique. Sur Twitter, le très macroniste « @TeamProgressiste » réunit aujourd’hui plus d’abonnés que la tête de liste officielle de la majorité présidentielle pour les élections Européennes, Nathalie Loiseau.

Cette influence en ligne représente, pour l’ensemble des formations politiques, un enjeu de communication de plus en plus stratégique. Mais l’utilisation de ces comptes directement pilotés par des cadres du parti ou des salariés chargés du numérique reste peu assumée par les partis. Jugé risqué voire malhonnête, le recours aux comptes anonymes serait encore marginal en France.

Une réalité mais beaucoup de « fantasmes »

« On a créé des comptes anonymes pendant la présidentielle », confirme à 20 Minutes un ancien cadre de LREM qui justifie : « Une personnalité ou un parti, c’est une image de marque. Quand des internautes "lambda" les attaques, on ne va pas s’abaisser à répondre avec un compte institutionnel. Ces comptes anonymes militants, ça permet de faire ce boulot de riposte. »

Baptiste Robert, chercheur indépendant plus connu sur Twitter sous le pseudo d’Elliot Alderson a analysé l’activité de milliers de comptes proches de la majorité entre le 29 avril et le 1er mai dernier, date du lancement de la campagne de la République en marche (LREM) pour les européennes. « Il y avait une stratégie de la part de LREM de s’organiser sur les réseaux à travers un ensemble de comptes anonymes et de comptes identifiés (…) mais je n’ai pas d’éléments qui me permettent d’affirmer qu’ils étaient pilotés directement par les équipes de campagne », nuance le chercheur qui a publié les résultats de son enquête sur Mediapart.

Pour l’ancien conseiller de François Hollande et enseignant à Science Po, Romain Pigenel, si l’utilisation de ces comptes par les partis existe, elle relève aussi du « fantasme ». « Générer massivement des faux comptes, les alimenter, les faire grandir, cela exige des compétences techniques et des moyens que les partis politiques français n’ont pas », estime-t-il.

Un outil « moralement répréhensible »

Aujourd’hui, la majorité des partis revendiquent en revanche le recours aux comptes de soutiens identifiés comme tel sur les réseaux et le pilotage des campagnes via des boucles sur messageries cryptées. Antoine Léaument, chargé du numérique à la France Insoumise (LFI), développe : « Pendant un débat ou une intervention télévisée d’un candidat, on utilise des canaux de diffusion type Whatsapp ou Telegram pour passer des messages de soutien, diffuser des visuels, ou rectifier certaines informations ». Idem du côté de (LREM) qui revendique plus de 2.000 internautes sur sa boucle de diffusion Telegram.

Capture d'écran de la boucle de soutien à Emmanuel Macron sur l'application de messagerie cryptée Telegram
Capture d'écran de la boucle de soutien à Emmanuel Macron sur l'application de messagerie cryptée Telegram - 20Minutes

Chez les Insoumis en revanche, on nie toute utilisation par le parti de comptes anonymes gérés en interne : « Je trouve ça problématique d’un point de vue moral, la plupart du temps quand des mouvements politiques mettent en place ce type de compte, c’est pour diffuser de fausses informations », dénonce Antoine Léaument.

Une analyse partagée par Tristan Mendes France, enseignant au Celsa spécialisé dans les nouveaux usages numériques : « Lorsqu’une équipe de campagne créée des comptes ad hoc anonymes pilotés par des gens en coordination avec des membres de l’équipe de campagne sans le préciser nulle part, c’est moralement condamnable. En période électorale quand on s’exprime, on doit dire d’où on parle ». « C’est vrai, mais c’est comme ça, ça fait partie du jeu », juge l’ancien cadre de LREM.


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Une efficacité relative

Au-delà de l’aspect moral, l’efficacité de ces comptes serait, selon les observateurs, toute relative. « On surestime beaucoup ce type de stratégie et le risque est maximal. Si vous vous faites choper, vous pouvez vous retrouver avec des risques juridiques, et un déficit d’image très important », met en garde l’ancien conseiller de François Hollande Romain Pigenel. Et un risque politique majeur appuie Tristan Mendes-France : « Si on apprenait qu’une équipe de campagne a créé des comptes anonymes ou des faux comptes pour faire monter telle ou telle information ou pour déléguer une sale besogne en faisant sortir une information que les comptes officiels n’oseraient pas diffuser, ce serait un scandale majeur ».

Un scandale qui a d’ores et déjà éclaboussé le parti présidentiel. En mars dernier, Le Monde révélait qu’un proche du conseiller d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, avait été auditionné dans le cadre de l’enquête sur l’affaire Benalla. Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir diffusé sur Twitter des images de vidéosurveillance extraites illégalement à la préfecture de police de Paris via le compte anonyme et ouvertement militant @FrenchPolitic. Le compte a depuis disparu du réseau.