Après le scandale de la «Ligue du LOL», pourquoi l'ex-CM de Macron a-t-il effacé des centaines de tweets?
INFO «20 MINUTES»•Six victimes déclarées de la LDL affirment avoir été attaquées en ligne par cet ancien journaliste, qui a effacé plusieurs centaines de tweets il y a dix joursPhilippe Berry
L'essentiel
- Le 8 février, Check News, de Libération, a publié une enquête qui révèle l’existence la Ligue du LOL, un « boys club » d’une trentaine de membres influents des médias accusé d’avoir cyberharcelé une vingtaine de victimes pendant des années.
- Dans les jours qui ont suivi, un ancien journaliste, qui a été community manager d’Emmanuel Macron à Bercy entre 2014 et 2016, a supprimé 393 tweets sur son compte personnel et s'est désabonné de 67 comptes.
- Depuis, six victimes déclarées de la LDL dont 20 Minutes a recueilli le témoignage affirment que cette personne les a attaquées personnellement, surtout sur Twitter, à la même époque, sur la période 2009-2012.
Le 8 février, Check News, de Libération, publie une enquête qui révèle l’existence la Ligue du LOL, un « boys club » d’une trentaine de membres influents des médias accusé d’avoir cyberharcelé une vingtaine de victimes pendant des années. Le 10 février, un ancien journaliste, Mathieu Géniole, qui a été community manager d’Emmanuel Macron à Bercy entre 2014 et 2016, supprime 393 tweets sur son compte personnel. Le 14 février, il se désabonne de 67 comptes. Depuis, six victimes déclarées de la LDL dont 20 Minutes a recueilli le témoignage affirment que cette personne les a attaquées personnellement, surtout sur Twitter, à la même époque, sur la période 2009-2012.
Selon nos informations, l’ancien chroniqueur du Plus (NouvelObs) n’aurait pas appartenu formellement au groupe Facebook créé par le journaliste Vincent Glad. Mais il a eu des centaines d’interactions avec ses membres sur Twitter, et laissé derrière lui une traînée de tweets qui interpellent. Contacté à cinq reprises par téléphone, email, Twitter et Messenger pour réagir aux accusations le visant, il n’a pas donné suite*.
« Il répondait à mes tweets en m’expliquant que j’étais une sous-merde »
Le nom de Mathieu Géniaole est d’abord apparu le 10 février dans le témoignage de l’écrivain Matthias Jambon-Puillet, comme étant l’un des auteurs des « premières attaques éparses » qu’il dit avoir subies en 2011. « Je n’ai pas de captures car j’ai tout supprimé, malheureusement. Mais si je l’ai cité, c’est qu’il venait m’asticoter assez souvent pour que son nom me revienne », précise-t-il à 20 Minutes.
Un autre témoignage émane du YouTuber Nicolas Catard. « Son nom était constamment dans les favoris et les retweets des messages m’attaquant. Il avait l’habitude de répondre à mes tweets en m’expliquant que j’étais une sous-merde. Ça me rendait malade, et ma femme également », témoigne l’ex-chômeur le plus connu du Web, qui s’était fait remarquer en 2009 avec un CV vidéo devenu viral. Lui non plus n’a pas gardé de captures d’écran. Il reste toutefois ce tweet du 8 novembre 2009 :
Le lien renvoie vers une image MySpace depuis supprimée, mais elle a été sauvegardée par l’Internet Archive. Il s’agit d’un mème grossophobe accompagné de la légende « Va être gros ailleurs ». Nicolas Catard, qui a perdu 18 kilos en 2016, a régulièrement été moqué pour son poids par ses trolls.
« Florence est folle »
En 2009, Florence Desruol devient la tête de turc de la Ligue du LOL. Reconvertie dans la communication politique, elle assure qu’en parallèle des attaques (insultes, moqueries, usurpation d’identité) de la LDL, elle a fait l’objet de « tweets horribles » de Mathieu Géniole entre 2010 et 2012. « Florence est folle », « Va prendre tes cachetons Florence », « Florence plus barge que jamais »… Plusieurs sont encore en ligne. Mathieu Géniole a également partagé en décembre 2010 « un remix de @florencedesruol en plein délire sur @RshalomDijon » réalisé par un membre présumé de la Ligue. Le fichier audio n’est aujourd’hui plus disponible sur Soundcloud.
« La relation de Florence Desruol avec la Ligue du LOL est complexe car elle a parfois été agressive avec eux, mais elle était dans une situation de victime seule contre tous », précise le journaliste Christophe Colinet, qui a soutenu la jeune femme quand elle a cherché à dénoncer les agissements de la LDL en 2010. Cette dernière dit avoir fait un « burn-out de huit mois » à la suite de ce qu’elle a vécu comme un « harcèlement en meute ». Alors qu’elle déserte Twitter, Mathieu Géniole tweete en juin 2011 : « Desruol vous manque ? La nouvelle tarée hystérique de Twitter : @laurenceguenoun ».
Laurence Guenoun s’est également trouvée dans la ligne de mire de la Ligue du LOL. Elle a conservé des messages d’insultes et deux montages pornographiques qu’un membre lui a, dit-elle, envoyés. Cette photographe les a publiés sur son compte Twitter (attention, les images sont très explicites). De Mathieu Géniole, elle se souvient d’un commentaire laissé sur un billet qu’elle avait publié sur le blog participatif Megaconnard ( archivé ici). Elle y dénonçait un photomontage antisémite visant le créateur du site, comme l’explique en détail une enquête de L'Express.
Quatre membres de la Ligue du LOL débarquent alors à moins d’une heure d’intervalle et laissent plusieurs commentaires qui oscillent entre attaques personnelles et trollisme négationniste. Deux heures plus tard, un certain Matge réagit à son tour et « ne voit pas ce qu’il y a d’antisémite dans le montage ».
Une usurpation d’identité n’est pas exclue, mais Mathieu Géniole semble avoir eu pendant des années un second compte Twitter, @Matge. Ce compte est aujourd’hui suspendu, pour une raison inconnue.
Recadrage d’Aude Baron
Casteur à Reservoir Prod entre 2008 et 2010, Mathieu Géniole rejoint le Nouvel Observateur en 2011, avec un poste de chroniqueur médias/people pour Le Plus. Le 3 janvier 2012, Florence Desruol publie un retweet manuel de @mathieuge. Pour cela, un utilisateur faisait à l’époque un copier-coller en rajoutant le nom d’auteur et la mention RT, ce qui a donné lieu à des usurpations d’identité et ne permet pas d’authentifier les insultes ci-dessous.
Le même jour, Florence Desruol interpelle toutefois sur Twitter la rédactrice en chef du Plus, Aude Baron, et lui demande de « calmer [son] journaliste ». Un lien raccourci – aujourd’hui périmé – permet de voir que l’adresse était l’URL d’un tweet de Mathieu Géniole, qu’il a depuis effacé. « Je prends note », lui répond Aude Baron.
Sept ans plus tard, Aude Baron ne se souvient pas de cet échange précis. « Je ne sais pas si c’était à cette occasion mais j’avais dit à Mathieu, comme à d’autres qui pouvaient être agressifs ou véhéments sur les réseaux sociaux, qu’il n’était pas salarié du Plus mais qu’il en véhiculait l’image, et donc qu’il devait faire attention à ce qu’il écrivait », précise la rédactrice en chef d’Eurosport.fr.
Des centaines d’interactions avec des membres de la LDL
En plus de ces quatre témoignages, deux autres victimes présumées de la Ligue du LOL affirment à 20 Minutes sous couvert d’anonymat avoir été attaquées par Mathieu Géniole sur Twitter. Une demi-douzaine de tweets donnent du poids à leurs allégations mais nous ne les publions pas ici à leur demande, pour préserver leur vie privée.
Mathieu Géniole, qui avait 30 ans en 2010, a également posté de nombreux tweets à caractère sexiste (voir ci-dessous). En 2012, il avait également douté de la réalité du harcèlement de rue après la diffusion d’un documentaire en Belgique, écrivant dans des tweets depuis effacés : « Je n’ai vu aucune fille se plaindre d’avoir à subir le même traitement en France, ce qui me laisse à croire que ça demeure un cas extrême relativement isolé. » Il avait alors reçu une avalanche de témoignages via le hashtag #HarcelementDeRue. Cela l’avait poussé à écrire une tribune sur le Plus, dans laquelle il jurait avoir « découvert, abasourdi, ce phénomène. »
En 2013, le journaliste est revenu sur ses jeunes années dans une interview au blog Tous Numériques :
« « Il m’arrive d’écrire des conneries sur Twitter. Mais c’est plus pour faire rire mes amis que pour troller. A l’époque on était entre nous, entre journalistes. » »
Dans cet îlot médiatique parisien qu’était Twitter, Mathieu Géniole a eu des centaines d’interactions amicales avec une douzaine de membres de la Ligue du LOL, notamment Vincent Glad, Alexandre Hervaud, F-L.D., D.D., R.L.A., Guilhem Malissen, Stephen des Aulnois et Julien Verkest. Tous ont fait l’objet de sanctions – conservatoires pour certains, définitives pour d’autres – au cours des deux dernières semaines. Il a également conversé avec le compte anonyme collectif de la LDL @Foutlamerde, que Vincent Glad a reconnu avoir cogéré avec « six ou sept autres personnes ». On retrouve aussi des dizaines d’interactions entre Mathieu Géniole et @Languedeuxpute, un compte qui semble avoir opéré en orbite de la LDL – et dont 78.000 tweets ont été effacés le week-end dernier.
Grand ménage et ascension auprès d’Emmanuel Macron
Dans les 36 heures qui ont suivi les révélations sur la Ligue du LOL, Mathieu Géniole a donc supprimé 393 tweets, selon les données d’analytics du site SocialBlade.
Ce n’est pas la première fois qu’il a fait du ménage. Les pages archivées montrent que le 30 mai 2015, son compte recensait près de 3.000 tweets de moins qu’au 9 juin 2014. Dans sa timeline, il y a aujourd’hui un trou de cinq ans sans aucun tweet entre le 6 novembre 2011 et le 19 novembre 2016, une période à laquelle des réponses et retweets attestent de son activité.
Peu de temps après avoir purgé son compte, il annonce sur Facebook, le 15 juillet 2014, qu’il prend de nouvelles fonctions : « chargé de mission au sein de cabinet d’Emmanuel Macron au ministère de l’Economie et des finances ».
Contacté par 20 Minutes, l’Elysée rectifie : « Mathieu Géniole était déjà membre du cabinet d’Arnaud Montebourg à Bercy lorsque Emmanuel Macron l’a remplacé » le 26 août 2014. Arnaud Montebourg confirme ce point : « Mon équipe l’a embauché en juillet 2014 et nous avons quitté le ministère le mois suivant. » L’ancien ministre socialiste ne se souvient « ni comment ni pourquoi il avait été embauché pour renforcer l’équipe de communication ».
L’équipe d’Emmanuel Macron a-t-elle examiné son activité passée sur les réseaux sociaux ? « Il faisait partie des équipes déjà en place, seuls les nouveaux entrants au cabinet ont fait l’objet de différentes vérifications d’usage », précise l’Elysée. Mathieu Géniole était « chargé, sous l’autorité du conseiller en charge de communication, de la mission de gérer le compte Twitter et la page Facebook du ministre et d’effectuer une veille Web, en particulier sur les réseaux sociaux. Dans ce cadre, il proposait des tweets ou des posts Facebook à la validation avant de les publier », détaille l’Elysée.
« Impliquer les géants du Web contre le harcèlement »
Cet esprit du LOL, qui dépasse les frontières d’un simple groupe officiel, a servi de tremplin à de nombreux journalistes pour atteindre les sommets. Dix ans après, alors que la parole se délie, il pose des questions juridiques complexes. « Ces gens-là maîtrisent Twitter à la perfection. Ils ont assaini leurs comptes. Identifier l’auteur précis d’un tweet sur un compte géré à plusieurs est difficile, il faut un mandat pour aller chercher une adresse IP. Twitter, qui n’a pas de présence juridique en France, ne joue pas le jeu », soupire l’avocat Eric Morain, qui a notamment représenté la journaliste victime de cyberharcèlement Nadia Daam. Il faut également faire avec les délais de prescription – six ans pour des faits commis après février 2017, et trois ans avant – que la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes Maria Schiappa souhaite voir allongés.
La loi votée en août 2018 a redéfini le harcèlement en meute, mais pour Eric Morain, il faut « aller plus loin et impliquer tous les géants du Web », comme en Allemagne. Parmi l’arsenal dévoilé mercredi pour combattre l’antisémitisme, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi pour lutter contre la haine sur Internet. Il comprendra un volet de mesures contraignantes pour obliger les plateformes à réagir plus vite et à coopérer avec les autorités. La fin de la récré a peut-être sonné.
*Un accusé de lecture atteste toutefois qu’il a bien ouvert un message envoyé sur le compte Messenger de sa société de conseils Gema Influences, qui compte, selon sa page LinkedIn, entre « 0 et 1 salarié ».