Baisse des ventes d'iPhone: «Apple a perdu sa spécificité et son côté unique»
INTERVIEW•Alors qu’Apple semble subir l’un des plus gros contrecoups de cette dernière décennie, est-ce la fin du règne de la marque à la pomme ? 20 Minutes a interrogé l’économiste Véronique Riches-Flores…Propos recueillis par Jean-Loup Delmas
Rien ne va plus pour Apple. La firme de Cupertino a revu ses prévisions de chiffre d’affaires et de ventes d’iPhone à la baisse pour le trimestre de Noël. Jeudi, l’action du géant de la tech a même décroché de près de 10 %.
Alors, est-ce la fin des iRicots pour la Pomme ? Véronique Riches-Flores, économiste spécialisée de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, analyse la situation pour 20 Minutes.
Comment peut-on expliquer ce ralentissement d’Apple ?
Il y a beaucoup de raisons pour que le miracle Apple subisse enfin des secousses. Le marché de la concurrence s’est énormément développé, ayant pour résultat logique un Apple qui n’est plus aussi unique qu’avant dans ses caractéristiques. Les Huawei ou les Samsung notamment ont peu ou prou les mêmes qualités désormais.
On peut y voir aussi un ralentissement de l’économie et notamment de la demande chinoise, a fortiori dans un contexte de guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis de Donald Trump. Les Chinois sont fiers de leur économie, ils possèdent désormais une gamme de produits comparable en qualité à ce que font les Américains ou les Coréens, et vont les privilégier. Idem, avant, beaucoup d’applications n’étaient disponibles que sur l’Apple Store, le développement massif du système Android permet là aussi de mettre fin à ce monopole, ce qui se répercute fatalement sur les ventes.
Vous parlez de « miracle Apple ». A quoi était due cette économie florissante malgré les années ?
Pendant longtemps, ils ont eu une avance technologique, un design propre, un caractère visuel et une identité forte. Ils ont donc simplement profité du prix de l’exception. Apple était seul à proposer de telles caractéristiques, ainsi qu’un système de sécurité aussi reconnu, ce qui est trop souvent mésestimé dans sa réussite. C’était un très gros plus qui est en train de disparaître, avec une législation qui avance et qui pousse l’ensemble des producteurs à améliorer leur sécurité, même si Huawei a encore des manques là-dessus par exemple. Mais le retard se comble.
Peut-on y voir également un changement de mode de consommation, moins basé sur l’achat compulsif de nouvel objet ?
Je ne suis pas certaine qu’on ait déjà atteint ce stade de changement de consommation et surtout cela me paraît trop prématuré pour expliquer les déconvenues actuelles d’Apple. Il y a bien la naissance d’un mouvement de déconsommation et d’achats plus responsables, mais cela prendra du temps avant de réellement avoir un impact important. Après, Apple est en effet de plus en plus pointé du doigt pour son obsolescence programmée, ses prix abusifs, la non-adaptation de ses iPhone anciens aux nouvelles technologies. Apple se fait même beaucoup plus critiquer sur ces points précis que ses concurrents, qui ont pourtant les mêmes pratiques.
Il y a quelques années, la marque était vue comme un mode de vie propre. A-t-elle perdu ce surplus d’identité qui faisait sa force ?
Le mode de vie Apple ne s’est pas éteint, il s’est simplement généralisé. Tous les autres appareils proposent maintenant les mêmes codes, et tous les consommateurs ont le même comportement, quelles que soient leurs marques. Une fois de plus, on retrouve le cœur de l’enlisement d’Apple : la perte de sa valeur unique. Apple qui misait beaucoup sur sa spécificité, a désormais du mal à se différencier des autres.
Ne manque-t-il pas une nouvelle révolution à Apple comme fut le premier iPhone ?
Bien sûr, mais il est de plus en plus difficile d’innover. Tout a quasiment été fait. Ces dernières années, les ajouts sont minimes : meilleure résolution de photos, ouverture différente de l’appareil. Cela reste du détail. Mais c’est pareil à chaque fois : les gains de productivités et d’innovations finissent par plafonner… avant une nouvelle révolution.