COMPTE-RENDUÀ son procès, le dessinateur Marsault «assume» et «ne regrette pas»

Jugé pour avoir initié le cyber-harcèlement d'une féministe, le dessinateur Marsault «assume» et «ne regrette pas»

COMPTE-RENDUUne peine de dix mois de prison avec sursis a été requise contre le dessinateur Marsault renvoyé pour « provocation à la haine et à la violence en raison du sexe » après avoir appelé ses fans à l’été 2016 à cyber-harceler une internaute…
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Très suivi sur les réseaux sociaux, l’auteur de BD controversé Marsault avait accusé en 2016 une militante féministe d’être à l’origine de la suppression de sa page Facebook et a invité ses fans à envoyer « 3-4 messages » à la jeune femme.
  • Mégane, alors âgée de 26 ans, avait reçu plus de mille messages, dont certains privés, d’insultes, d’appel au viol ou au meurtre.
  • Le dessinateur, présent à l’audience ce vendredi, était renvoyé aux côtés de deux autres internautes.

«J’assume mais je ne regrette pas. » Ses mains recouvertes de tatouages fermement cramponnées à la barre, l’auteur de BD réactionnaires, Marsault, n’a pas cillé. Le trentenaire comparaissait ce vendredi pour « provocation à la haine et à la violence en raison du sexe », « injures publiques en raison du sexe » ou encore « provocation au suicide » devant le tribunal correctionnel de Créteil.

Populaire sur Facebook, le dessinateur édité chez Ring avait appelé ses fans à « envoyer 3-4 messages » à une jeune militante féministe, Mégane Kamel*, qui s’était réjouie de la fermeture de sa page officielle en août 2016. Signalée par de nombreux internautes, cette page avait été suspendue par le réseau social qui estimait que son contenu ne respectait pas les règles d’utilisation du site. Méconnu du grand public, l’homme à la devise de son personnage - musclé, misogyne et violent - tatouée à l’arrière du crâne, réunissait à l’époque un peu plus de 200.000 admirateurs sur ce réseau social.

« Au mauvais endroit, au mauvais moment »

Face à une cour exclusivement féminine, l’auteur a nié en partie les faits qui lui étaient reprochés. Sur la provocation au suicide : « Je ne suis pas d’accord, démarre-t-il, je trouve que c’est exagéré […]. Je ne lui ai adressé que deux messages », a-t-il relativisé, reconnaissant toutefois les « injures publiques ». « Ça faisait plusieurs mois que je perdais ma page et mes dessins régulièrement sur Facebook à cause de signalements. C’était mon gagne-pain à l’époque […] j’étais dans un état de nerf et d’énervement. Mégane Kamel, elle est tombée au mauvais endroit au mauvais moment », poursuit-il, provoquant un grondement dans la salle.

Capture d'écran du message envoyé par le dessinateur à ses fans.
Capture d'écran du message envoyé par le dessinateur à ses fans. - Facebook

« Je reconnais d’avoir initié le harcèlement oui, pas d’y avoir pris part » a expliqué le dessinateur, réfutant toutefois le caractère misogyne de ses insultes comme « connasse hystérique » ou « truie », termes employés à l’égard de la plaignante. Absente à l’audience pour raisons médicales, Mégane Kamel* avait reçu à l’issue de l’appel lancé par Marsault plus de 1.000 messages privés et commentaires d’une violence inouïe, des menaces de mort, de viol, d’excision. Menaces formulées notamment par deux hommes également renvoyés ce vendredi aux côtés de Marsault.

« Suceuse de poney » ou « sac à foutre »

L’un commercial, l’autre architecte, tous deux ont plaidé l’inconscience de participer à un « raid » mais aussi la « bêtise » justifiée par la « colère » de voir le travail de l’auteur qu’ils aiment tant « censuré » par Facebook. Les deux prévenus, deux salariés aux casiers vierges, ont expliqué ne pas s’être « rendus compte des mots » et avoir simplement voulu « amuser la galerie ». Comme leur idole, ils ont démenti le caractère misogyne de leurs insultes et menaces, l’un d’eux se revendiquant même « féministe à 99 % ».

Une inconséquence fustigée par Valence Borgia, l’une des deux avocates de Mégane Kamel. « Les mots ont un sens. C’est toujours les femmes qu’on inscrit dans cette sorte de bestiaire, un champ lexical que l’on n’utilise pas pour les hommes. Les femmes sont des chiennes, des truies, des cochonnes. Quand Monsieur écrit « "suceuse de poney", quoi qu’on en dise, il ne l’aurait pas utilisé pour un homme. Idem lorsqu’ils la qualifient de "grosse pupute", de "sac à foutre" ou de "connasse hystérique". »

Dix et quatre mois de prison avec sursis requis

Plus de deux ans après les faits, la plaignante (interviewée par 20Minutes ​en septembre dernier) n’a toujours pas repris son emploi d’informaticienne. Profondément affectée par les menaces et les insultes reçues pendant des mois, elle a tenté de mettre fin à ses jours après ces attaques. Des conséquences réelles d’un lynchage virtuel qu’ont eu du mal à mesurer les trois hommes renvoyés devant le tribunal. « Vous êtes un adulte, vous insultez quelqu’un mais vous ne vous dites pas que, peut-être, ça va lui faire mal ? Vous n’avez pas 15 ans ! », s’énerve une magistrate. L’architecte, un proche de Marsault, répond doucement : « Oui, je m’en rends compte maintenant ».

Une prise de conscience tardive a estimé pour sa part la procureure. « Nous ne sommes pas face à des adolescents, ils étaient parfaitement conscients que ces insultes, ce sont des violences. Ils ont écrit ça en connaissance de cause ! », a-t-elle jugé avant de requérir une peine de 10 mois de prison avec sursis à l’encontre de Marsault et 4 mois de prison avec sursis pour les deux internautes ayant répondu à l’appel du dessinateur.

« J’ai été très con »

Confiant tout au long de l’audience, Marsault s’est posé en victime lors d’une ultime prise de parole : « C’est une épreuve assez désagréable pour moi mais je l’accepte. Quand j’avais 8 ans, j’ai eu la malchance d’avoir un père violent qui a maltraité ma mère, l’a harcelée et qui nous a forcés à nous exiler en Bretagne […] J’ai beaucoup souffert de cette histoire de harcèlement et de ne pas avoir pu protéger ma mère. Être ici aujourd’hui pour avoir lancé quelque chose qui a fait beaucoup de mal à une femme, c’est dur […]. Je m’excuse sincèrement, j’ai été très con ».

Des excuses réitérées à plusieurs reprises par l’un des deux autres prévenus : « Ça a été totalement stupide et disproportionné. Je me suis pas rendu compte que je faisais partie de 1.200 types. Je m’excuse, j’ai que ça à dire. Je voulais lui transmettre en vrai mais elle est pas là. J’aimerais vraiment qu’elle le sache. » Mise en délibéré, la décision sera rendue le 18 janvier prochain.

* Le nom et le prénom de la plaignante ont été modifiés