PRIS POUR CIBLE«On m’a volé mon corps, on m’a volé mon intimité»

Cyber-harcelé(e)s: «On m’a volé mon corps, on m’a volé mon intimité»

PRIS POUR CIBLEPlusieurs connaissances de Cynthia*, 44 ans, ont reçu sans son consentement des photos intitmes d'elle, envoyées à son ancien compagnon...
Hélène Sergent

Propos recueillis par Hélène Sergent

L'essentiel

  • Après une relation houleuse avec son compagnon et une rupture douloureuse, Cynthia, 44 ans, a appris que des photos d'elle dénudée et de ses parties intimes avaient été envoyées à certaines de ses connaissances via l'application Whatsapp.
  • Ces photos d'elle n'étaient destinées qu'à son ancien compagnon et elle n'a jamais consenti à leur diffusion.
  • Plus de cinq mois après son dépôt de plainte avec constitution de partie civile, cette mère de famille espère une réponse judiciaire.
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Logo de la série prispourcible - 20 Minutes

Voici l’histoire de Cynthia​*. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies.

Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de cette cyberviolence. Si vous avez été victime de cyberharcèlement, écrivez-nous à [email protected]

« En avril 2016, j’ai démarré une relation amoureuse avec un homme. Je le croisais depuis plusieurs années dans le cadre de mon travail mais je ne le connaissais pas. On fréquentait le même milieu festif et c’est dans ce contexte que notre histoire a commencé. C’était une relation en dents de scie, orageuse, entrecoupée de séparations.

Quand je ne souhaitais plus le voir, il revenait systématiquement, m’envoyait des mails sur mon adresse personnelle ou professionnelle à défaut de pouvoir m’envoyer des SMS puisque je bloquais son numéro de téléphone. Il utilisait un autre numéro, laissait des messages sur mon répondeur. C’était difficile pour moi, je finissais par céder.

« Tu es au courant pour les photos ? »

Cette situation a duré près d’un an. A la fin de l’année 2017, j’ai mis un terme à cette histoire après avoir trouvé des cartes bancaires au nom d’une femme dans ses affaires. J’ai pensé qu’il profitait d’elle. Alors j’ai voulu l’informer de la double vie qu’il menait et je l’ai menacé d’envoyer à cette femme l’intégralité de nos conversations. J’ai fini par le faire et par lui transmettre nos échanges par courrier recommandé. J’ai appris ensuite qu’il vivait avec elle et qu’ils attendaient un enfant ensemble. Ça a été très dur.

Quelques jours après, un ami de longue date m’a contacté et m’a dit : « Il faut que je te dise quelque chose, ça va trop loin et je ne veux pas être mêlé à ça ». Il m’a expliqué qu’il avait reçu via l’application Whatsapp un fichier contenant douze photos de moi. Certaines de mon visage, des photos de moi dénudée, de mes parties intimes venant d’un numéro qu’il ne connaissait pas. Le message disait simplement « Les vidéos suivent ».

« J’étais pétrie de honte »

Sur le coup, je n’y ai pas trop cru. Et quelques semaines plus tard, je me suis rendue à l’anniversaire d’un copain qui gravitait dans le milieu festif que je fréquentais.

« Une de mes connaissances m’a invitée à boire un verre avant de me glisser : « Tu es au courant pour les photos ? Elles tournent sur WhatsApp ». »

J’étais bouleversée. Non seulement je vivais mal sa trahison sur sa vie personnelle mais là ça m’a fait très mal. Je suis tombée malade. Je n’arrivais plus à dormir, j’ai été arrêtée parce que je n’arrivais plus à travailler, je ne mangeais plus et je cachais la situation à mes enfants, j’étais pétrie de honte.

Ces photos, je les ai envoyées à cet ancien compagnon et à personne d’autre, je lui faisais confiance. J’ai été prise en charge par les urgences à plusieurs reprises pour des spasmes liés au stress. Quelques semaines plus tard, j’ai décidé de déposer plainte.

La bataille judiciaire

J’ai fourni aux policiers les archives des conversations avec mon ex. On m’a donné rendez-vous quelques semaines plus tard pour m’informer qu’ils ne pouvaient pas contraindre les témoins de venir déposer et aucune de mes connaissances qui avaient reçu les photos n’a souhaité le faire. Puis on m’a renvoyée chez moi en me disant : « Essayez de vous reconstruire ». C’était horrible, j’ai fait une crise de nerfs devant mes enfants. J’ai fini par tout leur raconter.

Et j’ai persévéré. J’ai trouvé une avocate et fin mai, j’ai déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du parquet de Paris. Après deux mois de silence, on m’a informée que le parquet de Paris s’était dessaisi de l’affaire au profit d’un parquet de la grande couronne. J’ai de nouveau fourni tous les éléments que j’avais et j’ai été entendue pendant quatre heures par un policier chargé de l’enquête préliminaire. Depuis, j’attends. Je n’ai eu aucun retour.

L’attente d’une reconnaissance judiciaire

Certaines de mes connaissances ont tenté de minimiser, m’ont dit « tu t’en fous, des photos coquines, tout le monde en reçoit ». Mais je refuse d’accepter ça. Ici, on a dépassé le cadre d’une dispute dans la sphère privée. Diffuser des photos intimes sans mon accord, c’est puni par la loi. Ces images pourront circuler ad vitam aeternam. Une fois qu’elles sont réceptionnées par quelqu’un via l’application Whatsapp, elles s’enregistrent sur le téléphone du destinataire qui peut, à son tour, les diffuser à ses contacts.

« Combien de personnes les ont vues ? Je ne le saurai jamais. » »

On m’a volé mon corps, on m’a volé mon intimité et ça m’a détruite. J’ai perdu ma confiance en moi, j’ai mis en péril mon travail, je suis passée à côté d’une promotion et j’ai dû expliquer à ma hiérarchie ce qu’il m’arrivait. Ça a aussi tué ma vie sociale, je n’ose plus sortir et j’ai constamment l’impression que les gens qui viennent me parler ont vu ces photos. Je peux plus faire confiance à qui que ce soit.

En janvier prochain, ça fera un an que cette histoire aura démarré. J’espère vraiment avoir un retour des enquêteurs d’ici là. Je le sais, sans reconnaissance de la justice, il n’y aura pas de reconstruction ».

*Le prénom a été modifié

Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni de vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.