Cyberharcelé(e)s: «Le fait de voir quelqu’un parler de mon viol et le nier, c’était très difficile à vivre»
PRIS POUR CIBLE•Une personne malintentionnée a usurpé l’identité de Pierre sur Twitter pour remettre en question son viol…Propos recueillis par Laure Beaudonnet
L'essentiel
- Il y a six mois, une personne s’est fait passer pour Pierre sur Twitter et s’adressait à ses proches pour le traiter de menteur.
- En 2008, Pierre, militaire gay en formation en Allemagne, a été victime d’un viol dans une boîte de nuit. L’affaire avait été relayée dans la presse.
- Pendant plusieurs mois, il a vu des comptes utiliser son identité pour mettre en doute son viol, réactivant ses angoisses, et son stress post-traumatique.
Voici l’histoire de Pierre. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de la cyberviolence. Si vous avez été victime de cyberharcèlement, écrivez-nous à [email protected], [email protected] ou [email protected].
« Je suis assez actif sur Twitter et, il y a six mois, j’ai vu naître des profils sur le réseau social qui reprenaient les caractéristiques de mon compte. A chaque fois, ces profils utilisaient le même nom que moi, ou un pseudo très proche, la même photo de profil, la même photo de bannière… Ces faux comptes se faisaient passer pour moi et s’adressaient à mes proches en me traitant de menteur. Ils envoyaient des messages publics en faisant référence au viol dont j’ai été victime lorsque j’étais dans l’armée.
En 2008, j’ai été envoyé en formation en Allemagne, et, pendant une soirée, je suis sorti avec des amis dans une discothèque. J’ai perdu connaissance et je me suis réveillé le lendemain dans les toilettes de l’établissement avec une déchirure anale. Je ne me souvenais de rien et, ça a été la descente aux enfers. Je me suis heurté au déni de l’institution militaire. Je n’ai pas eu le traitement post-exposition au VIH, je suis tombé dans l’alcool, ça n’allait pas bien du tout et, finalement, au bout de deux mois, on m’a renvoyé en France. Une enquête est toujours en cours à Rennes.
Sur Twitter, la personne derrière ces comptes bidons disait que j’étais un menteur et que je n’avais jamais été victime d’agression sexuelle, qu’il fallait que je me fasse soigner. Il adressait ces messages à mes amis et même à ma mère. Il n’y a eu aucun déclencheur, il n’y a pas eu de clash. J’ai vu la création d’un compte du jour au lendemain. Au départ, il parlait de moi à la première personne et, ensuite, le compte a évolué. La première fois, j’ai été très blessé. J’étais choqué qu’une personne puisse tenir ce genre de propos. J’ai fini par faire fermer le compte par Twitter après de nombreux signalements. Mais, dès qu’un compte fermait, un nouveau apparaissait dans les dix minutes. C’était sans fin.
J’avais réussi à me reconstruire psychologiquement et le fait de voir quelqu’un en reparler en niant mon viol, c’était très difficile à vivre. C’était plutôt le fait d’évoquer l’agression dans des termes dévalorisants qui était problématique. Les premières fois, je n’ai pas dormi, j’étais très mal. J’ai revécu les scènes de viol, ça a été très difficile moralement de ne pas savoir pourquoi la personne s’en prenait à moi. Je ne savais pas s’il y avait un différend. Tout ce que j’ai essayé de faire, c’est de bloquer tous les comptes qui se créaient. Emotionnellement, c’était dur à supporter. Je me suis blindé depuis mon agression, mais ça a été difficile, sachant que je voulais repartir sur autre chose. Le fait de me replonger là-dedans, j’ai fait des crises d’angoisse, le syndrome de stress post-traumatique s’est réenclenché…
« « Je ne sais pas s’il s’agit de quelqu’un de la communauté militaire ou s’il s’agit d’une personne qui s’en prend gratuitement à moi » »
La quantité de messages n’était pas très importante, c’était le contenu des messages qui était blessant. A chaque fois, il cherchait à jeter le discrédit sur moi auprès de mes proches. Il partageait des publications d’une espèce de blog d’extrême droite parlant de mon agression, notamment un article qui avait été publié au moment des faits : « La désinformation LGBT, par l’exemple ». Il le partageait assez fréquemment. J’ai essayé d’envoyer des messages et, à chaque fois c’était une surenchère. Je ne sais pas s’il s’agit de quelqu’un de la communauté militaire qui était au courant du viol ou s’il s’agit d’une personne qui s’en prend gratuitement à moi. Mes proches ont essayé de me soutenir moralement.
La dernière fois, c’était fin août. C’est par pics. Il y a des phases de répit et des phases de création de comptes compulsive. Pendant deux ou trois jours, la personne va créer une dizaine de comptes, envoyer plein de messages et quand je réussis à les bloquer, elle va être inactive pendant un mois ou deux. C’est le calme plat et puis une attaque compulsive sur deux ou trois jours. Pour l’instant, j’ai conservé toutes les preuves. »
Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.