Les robots-influenceuses sur Instagram, nouveaux produits marketing à succès
TECHNOLOGIE•Depuis 2 ans, des influenceuses en image de synthèse voient le jour sur Instagram. Idéalisées et parfaites, elles sont suivies par des milliers de personnes. Deux spécialistes expliquent le phénomène et ses potentiels dangers pour « 20 Minutes »…Marie de Fournas
L'essentiel
- Ces personnages créés de toutes pièces agissent comme des humains dont ils en ont la troublante ressemblance, créant parfois la confusion chez leurs abonnés.
- Un physique parfait et même porteurs d’opinions politiques, ces robots sont une source d’inspiration pour de nombreux jeunes.
Avec son 1,4 million d’abonnés, Miquela commence à se faire une place dans le monde des influenceuses Instagram. La Brésilienne de 19 ans pose avec des stars, porte les vêtements des plus grandes marques, publie régulièrement ses looks du jour et a même récemment réalisé un clip avec l’artiste Baauer. Mais ce qui la différencie d’une Jeanne Damas ou d’une Emilie Ratajkowski, c’est que Miquela n’a pas de cœur, ni d’émotion. Tout simplement parce que Miquela est une image de synthèse.
Elle est la plus connue des robots-influenceuses, mais n’est cependant pas la seule à avoir du succès. Il y a aussi son frère Blawko, en couple avec une certaine bermudaisbae, Shudu Gram qui est soutenu par Fenty, la marque de Rihanna ou encore Perl qui pose avec Orelsan, Petit Biscuit et Eddy de Pretto. Tous rassemblent une large communauté de fans, souvent jeunes.
aConfusion entre le réel et l’irréel
Leur ressemblance avec de véritables êtres humains est troublante, tant physiquement que psychologiquement. Récemment, Miquela a par exemple posté : « Les deux derniers jours ont été intenses. Je suis épuisée mentalement et émotionnellement ». Publication à laquelle une internaute répond : « Je ne savais pas que cela arrivait aux intelligences artificielles, tu apprends quelque chose de nouveau chaque jour. Je t’aime et j’espère que les choses iront mieux pour toi ». Une confusion réel/irréel qu’il n’est pas rare de voire dans les commentaires. Même si tous ces influenceurs précisent dans leur description être des robots, leurs fans interagissent avec eux comme s’ils étaient humains : « Tu es mon idole », « je t’aime », « tu m’inspires tellement » ou encore « j’espère être un jour aussi parfaite que toi ».
« Un concentré artificiel des préoccupations des adolescents »
« Dévoiler ses moments de faiblesse ou de doute, c’est assez peu commun pour une influenceuse Instagram. Sur cette plateforme, on est habitué à ne voir que des gens pour qui tout va toujours super-bien. Et c’est aussi je pense ce qui fait le succès de Miquela, explique à 20 Minutes le psychologue Michael Stora, auteur de Et si les écrans nous soignaient ?. Elle est un concentré artificiel des préoccupations des adolescents. »
Cette dernière a également des opinions. « Ses concepteurs lui ont donné des opinions politiques la rendant intéressante auprès de ses followers, analyse pour 20 Minutes Laurence Devillers, professeure à l’université Paris-Sorbonne, dont les domaines de recherche portent principalement sur l’interaction homme-machine. Elle "soutient" les causes des LGBTZ "Lesbiennes, gays, bisexuels et trans" ». Une facette très humaine qui séduirait les internautes.
« Ils se servent de vous, de votre temps, de vos données et de vos émotions »
Sauf que derrière cette jeune fille aux taches de rousseur et à l’air juvénile ne se cache pas forcément… une jeune fille justement. L’identité de la ou les personnes derrière ce compte reste d’ailleurs un mystère. « Ces nouveaux influenceurs artificiels sont dressés pour vous influencer, vous pousser à acheter de nouveaux produits, à suivre de nouveaux mouvements en capturant vos tendances et vos opinions. Bref, ils se servent de vous, de votre temps, de vos données et de vos émotions », avertit l’experte rappellant l’importante présence des jeunes sur ces réseaux.
Il n’y a pas que leurs opinions et leurs émotions qui sont irréelles, leur beauté aussi. « Miquela, créée de toutes pièces, est idéalisée, sans défaut physique, complète Michael Stora, cofondateur de l’observatoire des Mondes numériques en sciences humaines. C’est l’archétype de ce que font les magazines depuis longtemps en retouchant les photos de mannequins. Instagram est un réseau où l’on tente d’aller vers le plus en plus beau. Ce robot un peu mutant, en serait la quintessence, sans filtre. » Pour des jeunes filles en pleine puberté, prendre ces personnages irréels comme modèles de beauté peut être aussi déprimant que de le faire avec les mannequins ultra-retouchés des magazines.
« Mettre des règles éthiques dans ces machines ! »
Malléables à souhait par leurs concepteurs et très appréciés des jeunes internautes, ce genre de robots numériques pourraient bien continuer à proliférer. Afin d’éviter toute dérive, Laurence Devillers affirme qu’il faut « mettre des règles éthiques dans ces machines ! »