«J'ai culpabilisé, je me disais, comment j’ai pu être aussi bête?»

Cyber-harcelé(e)s: «Je peux pas m’empêcher de me dire que c'est ma faute, que j’ai été naïve»

PRIS POUR CIBLECharlotte* a été victime de « revenge porn » de la part de son ex-copain. Quelques mois après leur séparation, elle a retrouvé des vidéos tournées avec son ancien compagnon sur un site pornographique…
Hélène Sergent

Propos recueillis par Hélène Sergent

L'essentiel

  • A la demande de son ex-petit-ami, Charlotte* a accepté à trois reprises de se filmer pendant leurs relations sexuelles.
  • Quelques mois après, elle a retrouvé ces vidéos sur un site porno, publiées sans son consentement.
  • Depuis le 7 octobre 2016, le « revenge porn » (« revanche pornographique ») est puni par la loi. Les auteurs encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 60.000 euros d’amende.

Voici l’histoire de Charlotte*. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles,
20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de la cyber-violence. Si vous avez été victime de cyber-harcèlement, écrivez-nous à [email protected], [email protected] ou [email protected].

« En mai 2017, je fréquentais un garçon rencontré sur un site de rencontres. On avait tous les deux des proches malades, cette histoire commune nous a rapprochés, on parlait beaucoup, on se voyait épisodiquement mais ça se passait bien. Il nous arrivait de nous voir souvent, puis moins, c’était sans prise de tête mais on s’aimait bien.

Un jour, il m’a demandé de faire une vidéo avec lui pendant nos ébats. Je n’étais pas partante, je ne supporte pas mon corps, j’ai pris du poids, et c’est difficile pour moi de m’accepter. Lui n’arrêtait pas de me rassurer en me disant "tu es jolie, tu es belle, j’aime ce que tu es".

« J’ai fini par accepter […] ça lui faisait plaisir »

Cette première demande de « vidéo » est arrivée rapidement dans notre relation mais je n’ai pas accepté tout de suite. Au bout d’un moment j’ai fini par accepter, je lui ai dit : « d’accord, si ça te fait plaisir. Mais à la seule condition de l’effacer après ».

« « On l’a fait et il m’a assuré qu’il l’avait effacée. Il m’avait même montré sa galerie iPhone pour me prouver qu’elle était supprimée. » »

J’ai appris plus tard que, même effacées sur le téléphone, les vidéos et les photos restaient stockées sur le cloud. Je n’ai pas d’iPhone, je n’y connais rien, je ne savais pas. Quelque temps après, il m’a redemandé s’il pouvait de nouveau nous filmer, cette fois encore j’ai accepté en imposant la même condition : supprimer la vidéo une fois tournée. Il me le promettait à chaque fois. Au total, on a tourné trois vidéos ensemble pendant notre relation.

A la fin de l’année 2017, on a fini par se voir de moins en moins puis par se séparer par la force des choses. Lui a perdu sa mère, il avait besoin d’être seul et moi j’avais mes propres difficultés personnelles. Mais on a toujours gardé contact, et on s’est revu à plusieurs reprises ensuite. J’étais relativement confiante, il m’avait invitée chez lui, il me donnait beaucoup de détails sur son travail, sur son histoire familiale, sur ses amis.

« Je crois t’avoir reconnue sur le téléphone d’un collègue »

Je lui ai expliqué que je n’avais plus envie d’une relation en dilettante, que j’avais besoin de clarifier tout ça. Il m’a répondu qu’il n’était pas prêt, je lui ai expliqué que je ne pouvais plus le voir. J’ai la trentaine, un petit garçon et besoin de stabilité, d’être épaulée. Quelques semaines plus tard, il m’a rappelée en me disant qu’il était amoureux de moi, qu’il voulait être avec moi finalement, qu’il avait "déconné" et m’a demandé si je voulais le revoir. J’ai accepté, on s’est vu, il m’a dit qu’il m’aimait, on a refait une vidéo, j’étais d’accord.

Puis quelque temps après, j’ai réalisé qu’il m’avait bloquée sur Whatsapp, Snapchat, partout. Impossible de lui envoyer des messages. J’ai vraiment eu le sentiment d’être utilisée. En mai dernier, il est revenu vers moi une nouvelle fois. J’étais en couple à ce moment-là, je ne voulais plus le revoir sauf à rester simplement "amis" et je lui ai dit. Il a bien réagi, m’a dit "ok", on a continué à s’écrire, à se donner et prendre de nos nouvelles.

« Jeudi 6 septembre, un ami à moi m’a envoyé ce SMS : « Charlotte, est-ce que tu as déjà fait une vidéo de sexe ? Je crois t’avoir reconnue sur le téléphone d’un collègue. » »

A ce moment-là, je me dis : "ce n’est pas possible, qu’est-ce qu’il se passe, c’est pas vrai ?" Et je décide d’envoyer immédiatement un message à mon ex en lui demandant s’il avait montré nos vidéos à quelqu’un et en lui expliquant qu’un collègue d’un ami en avait une sur son téléphone.

« Il a continué de nier »

Mon ami m’a envoyé une capture d’écran sur laquelle on voit clairement mon visage. Et il n’y a qu’avec mon ex que j’ai fait ce genre de vidéo. Lui a continué de nier, en me jurant sur la tombe de sa mère qu’il n’y était pour rien, qu’on avait dû pirater son téléphone, la seule chose qui semblait l’intéresser c’était de savoir si on voyait sa tête sur les images.

Mon ami qui a découvert la vidéo était très mal à l’aise et a demandé à son collègue comment il y avait eu accès et s’il pouvait la supprimer. Il m’a beaucoup aidée, il a récupéré l’URL du lien de téléchargement et son frère, informaticien, a passé une journée pour remonter vers le site Internet qui hébergeait les vidéos.

Le site porno en question est hébergé dans les Bermudes, ça a pas mal compliqué les démarches pour tout effacer. Mais on a retrouvé le profil de mon ex qui utilisait un pseudo et une photo de moi en illustration. Au total, il y avait quatre vidéos et non trois comme je le croyais. Il est possible que mon ex en ait fait une sans même me le dire. Deux vidéos avaient été mises en ligne il y a six mois, ce qui correspond à la période où nous nous sommes quittés.

J’ai envoyé un mail au site en expliquant que ces vidéos avaient été publiées sans mon consentement et que je voulais qu’ils suppriment ces images. Ils m’ont répondu au bout de 4 jours, et ils ont accepté de supprimer le contenu. L’une des vidéos a été vue 10.500 fois et les deux autres plus de 3.000 fois.

Quand je sortais dans la rue, j’avais l’impression que tout le monde me reconnaissait, c’était horrible. J’ai ressenti une immense tristesse, un sentiment de trahison et surtout de culpabilité, je me disais : "comment j’ai pu être aussi bête ? Comment j’ai pu lui faire confiance ?" Je ne peux pas m’empêcher de me sentir responsable, de me dire que c’est de ma faute, j’ai été naïve. J’ai été victime d’un viol il y a quelques années et j’ai eu un ressenti similaire, celui d’une intimité bafouée.

« « Je sais qu’à cet instant, des gens sont devant leur ordinateur et se masturbent en regardant cette vidéo, c’est insupportable » »

Même si mon ami a réussi à supprimer toutes les occurrences liées à mon nom sur les moteurs de recherche et même si le site a effacé les vidéos sur le profil de mon ex, elles sont restées en ligne pendant des mois et elles étaient téléchargeables. Contre ça, je ne peux rien faire.

Mon ami et son frère informaticien m’ont poussée à porter plainte, à ne pas laisser passer. Ils m’ont conseillé avant de tout supprimer, de conserver les vidéos, les captures d’écran du profil de mon ex sur ce site porno pour conserver des preuves et c’est ce que j’ai fait. Le lendemain j’ai pris rendez-vous pour un dépôt de plainte au commissariat le plus proche de chez moi.

« Je me suis rendu compte que c’était bien réel »

Début septembre, j’ai déposé plainte pour "utilisation, conservation ou divulgation d’un document ou enregistrement portant sur des paroles ou images à caractère sexuel et obtenu par une atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui". En arrivant, on m’a demandé de donner mon téléphone pour que la commissaire puisse visionner les vidéos avant de prendre ma plainte.

J’ai craqué à ce moment-là, je me suis rendu compte que c’était bien réel. Les policiers ont fait en sorte de me recevoir sans personne d’autre dans la pièce, j’ai été reçue par une femme qui a été très rassurante, très douce qui m’a expliqué que je n’étais pas seule dans ce cas, elle m’a donné des conseils pour ne pas faire d’erreurs dans la procédure à suivre : ne plus le contacter, ne pas le voir, ne pas le menacer.

J’ai su après qu’il m’avait menti sur un certain nombre de choses. J’ai découvert qu’il avait 24 ans et non 29 ans comme il le prétendait, qu’il était salarié de son entreprise et non le patron comme il me l’avait dit. Je lui ai envoyé un SMS pour lui dire que j’avais porté plainte contre lui, qu’il risquait jusqu’à deux ans de prison et 60.000 euros d’amende et que j’irai jusqu’au bout. Puis j’ai bloqué son numéro.

J’ai pensé à prendre un avocat, mais je n’ai pas les moyens. Là, je suis tellement remontée que j’ai envie d’aller jusqu’au bout, mais j’ai peur aussi que ça dure longtemps et ne plus avoir l’énergie suffisante pour raconter encore et encore mon histoire. J’ai pas peur de lui, mais j’ai peur de la machine judiciaire, qu’on remette en question ma crédibilité, notamment en tant que maman. »

Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.

* Le prénom a été modifié

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni de vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.