HARCELEMENTComment les objets connectés sont détournés pour harceler les femmes

Comment les objets connectés sont détournés au quotidien pour harceler les femmes

HARCELEMENTLes nouvelles technologies et objets dits « intelligents » sont de plus en plus utilisés dans des affaires de cyberharcèlement, notamment en cas de séparation ou de divorce…
Hakima Bounemoura

Hakima Bounemoura

L'essentiel

  • Les objets connectés sont de plus en plus souvent piratés et utilisés pour harceler les femmes, notamment en cas de divorce et de séparation.
  • La Haute autorité pour l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a noté « l’émergence de nouveaux moyens d’exercice du contrôle intra-couples ».
  • La place des technologies de l’info et de la communication dans les violences faites aux femmes est encore « trop peu identifiée par les professionnels ».

Des lumières qui s’allument toutes seules en pleine nuit, la musique qui se déclenche subitement ou encore le chauffage qui monte d’un coup à 37°C… Les objets connectés sont de plus en plus souvent piratés et utilisés pour harceler les femmes, notamment en cas de divorce et de séparation, révèle une enquête récemment publiée par le New York Times. Les numéros d’écoute destinés aux femmes victimes de violences domestiques ont recueilli de nombreux témoignages, notamment celle d’une femme en instance de divorce qui a expliqué que le code de sa serrure numérique changeait tous les jours ou d'une autre qui a dû se résoudre à débrancher son haut-parleur intelligent qui se déclenchait en pleine nuit.

Un phénomène nouveau de harcèlement qui s’est développé ces dernières années avec l’essor des technologies « intelligentes » et la multiplication des objets connectés, et auquel la France n’échappe malheureusement pas. Les autorités françaises ont en effet récemment été alertées par cette nouvelle forme de harcèlement envers les femmes et compte bien s’emparer de cette problématique.

« Espionner ce qu’elle fait, avec qui elle parle, où elle est… »

« La Haute autorité pour l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a noté l’émergence de nouveaux moyens d’exercice du contrôle intra-couples du fait des objets connectés, surtout du téléphone portable et de ses applications », a confirmé à 20 Minutes Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’Etat chargé du numérique. « Dans les couples violents, souvent l’homme exerce une emprise psychologique liée à la maîtrise des objets connectés de sa femme : il peut chercher à savoir où elle est, ce qu’elle fait, avec qui elle parle… », précise le ministre.

Ce sont en effet souvent les hommes qui, au sein du couple, possèdent les mots de passe et connaissent le mieux les applications mobiles permettant de piloter ces objets. Il leur est donc facile de « détraquer » les appareils ou de fausser leur fonctionnement pour rendre folle leur compagne ou leur ex-femme. « C’est un vrai sujet sur lequel on travaille. Les cas que le HCE a remontés sont terribles. C’est une vraie violence psychologique, qui se développe de plus en plus en France », ajoute le secrétaire d’Etat au numérique.

Très peu de données chiffrées en France

« Nous disposons de très peu de données chiffrées en France. Mais les différentes enquêtes réalisées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, ainsi que les nombreux témoignages de professionnels laissent présager de l’ampleur du phénomène en France », explique à 20 Minutes Claire Guiraud, la secrétaire générale du HCE. D’après une enquête menée en Grande-Bretagne par Women’s Aid, 85 % des femmes accueillies par l’association ont subi des violences dans la vie réelle et dans la vie numérique, « et parmi elles, 29 % l’ont été via des logiciels de géolocalisation et de surveillance », précise Claire Guiraud.

« Souvent les femmes n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’il leur arrive. Elles pensent devenir folles ». Selon Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique, plusieurs de ses patientes, victimes de violences au sein du couple, évoquent « le sentiment d’être suivies par leur conjoint ou ex-conjoint, mais surtout d’être espionnées via les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ». Parmi les dispositifs existants, les plus utilisés en France sont le « Keylogger » (qui permet d’identifier les mots de passe), le logiciel M. Spy, (un programme de surveillance et géolocalisation) ou tout simplement les objets connectés enregistreurs, cachés dans des cadres pour photographie, des détecteurs à incendie, des patères ou des ampoules.

« Il est urgent de mettre en place un guide pratique spécifique sur le cybercontrôle »

« La place des technologies de l’information et de la communication dans les violences faites aux femmes est encore trop peu identifiée par les professionnels, qu’il s’agisse du personnel des associations, des services de police ou de gendarmerie », explique Claire Guiraud. « Il est urgent de renforcer leur formation en la matière et de les outiller d’un guide pratique spécifique sur le cybercontrôle », ajoute la responsable de l’instance consultative, qui a consacré cette année un rapport sur « les violences numériques faites aux femmes » officiellement remis aux secrétaires d’Etat à l’Egalité hommes-femmes et au Numérique.

Interpellés par plusieurs associations, les fabricants d’objets et systèmes connectés ont déclaré qu’ils n’avaient pas reçu de rapports indiquant que leurs produits étaient utilisés de manière abusive. Si les fabricants reconnaissent qu’il n’existe pas de solution magique, ils expliquent qu’il est néanmoins possible, pour s’en prémunir, de réinitialiser l’appareil ou, plus simplement, de modifier le mot de passe sur son réseau Wi-Fi domestique.