Pourquoi le Front national se sent-il obligé de régler ses problèmes sur Twitter?
POLITIQUE•Les membres du FN affichent leurs désaccords sur les réseaux sociaux à coups de likes et de retweets…Olivier Philippe-Viela
Avouons que cela facilite le travail des journalistes. Mais enfin, dans un univers où tout est censé se jouer en coulisses, la faculté des membres du Front national à s’entre-déchirer publiquement relève de la performance. Par publiquement, il faut entendre « sur les réseaux sociaux ». Un en particulier, Twitter, tout désigné quand il s’agit de s’envoyer des arguments définitifs à la figure en peu de mots.
Ce week-end, le parti se réunissait à Chasseneuil-du-Poitou dans la Vienne, au Futuroscope, pour parler futur justement, celui du FN. Une réunion à huis clos, excepté pour le discours de Marine Le Pen dimanche après-midi. Les comptes Twitter frontistes sont restés sobres, relayant des extraits de discours de la présidente ou d’élus locaux, des selfies entre militants, des réactions à l’attentat de Marseille. Une utilisation classique du réseau social.
Polémique en trois actes
Sauf que l’on parle du Front national, mouvement au sein duquel Twitter n’est pas un médium comme un autre. Apaisés pour le week-end, les comptes des cadres FN ont chauffé depuis plusieurs mois. Illustration avec l’épisode du départ de Florian Philippot, annoncé le 21 septembre. 20 Minutes avait relaté les déchirements entre les fidèles de l’ex vice-président et les partisans de la ligne historique du parti, moins souverainiste, plus identitaire.
La manière dont Sophie Montel, bras droit de Florian Philippot, a été mise au ban du FN avait déjà provoqué les premières scissions visibles sur les réseaux sociaux. Ses proches au sein de sa formation politique témoignaient de leur soutien en affichant une photo en sa compagnie comme bannière sur Twitter, et les engueulades publiques sur son sort se multipliaient entre adhérents du parti.
Puis il y a eu le fameux « Couscousgate », parti d’une photo publiée par une militante sur Internet, où l’on voit Florian Philippot et Sophie Montel dans un restaurant strasbourgeois dont la carte aurait provoqué des remous parmi les plus identitaires des militants du Front.
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Une polémique habilement montée en épingle par le clan Philippot, comme le raconte Libération : « Avant l’article de Buzzfeed, les trois tweets les plus retweetés (même si encore confidentiels) sont, outre celui de De Lesquen, ceux de Philippot et de deux de ses proches, Sophie Montel et Pascal Bauche. Le hashtag #CouscousGate est d’ailleurs l’œuvre d’un autre proche de Florian Philippot, Alexandre Benoît, ancien assistant parlementaire de Sophie Montel. »
Enfin, le dernier épisode majeur de la guerre de tranchées chez les frontistes s’est déroulé autour de la date de la démission de Florian Philippot. En roue libre, les deux familles idéologiques qui cohabitaient au sein du FN mariniste se sont déchirées ouvertement à coup de tweets, de retweets et de likes des tweets des uns et des autres, comme 20 Minutes le racontait alors.
« C’est le résultat mathématique de l’impossibilité d’exprimer les désaccords autrement »
D’où vient cette habitude chez les cadres du mouvement de régler les problèmes internes à coup de messages assassins en 140 tweets (280 maintenant d’ailleurs) ? Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, pointe l’organisation voulue par Marine Le Pen : « Ce qui a changé entre la présidence de Jean-Marie Le Pen et celle de sa fille, ce n’est pas au niveau statutaire, car les tendances internes ont toujours été officiellement interdites. C’est la réalité de l’expression des tendances, que le père tolérait d’une certaine manière beaucoup plus que sa fille aujourd’hui. Avec tous les excès que cela pouvait amener. » Jean Messiha, coordinateur du projet présidentiel de la présidente du Front, assure que le FN version Marine, « ce n’est pas un parti où chacun débarque et dit ce qu’il veut ». « Quand les militants usent des réseaux sociaux, ils doivent mettre des messages conformes à la ligne. Il y a une discipline intellectuelle et politique à tenir en tant que membre du Front national », poursuit-il.
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Mais dans un parti où les débordements verbaux sont plus courants qu’ailleurs, les réseaux sociaux servent d’espace de libre expression. « C’est le résultat mathématique de l’impossibilité d’exprimer les désaccords autrement, poursuit le politologue. Marine Le Pen avait besoin de verrouiller la parole en matière de crédibilité politique, car les sensibilités qui s’exprimaient le plus bruyamment étaient plus radicales que la ligne du parti. Le problème, c’est que ça frappe aussi des gens qui ne sont pas plus radicaux qu’elle. »
Comme le clan Philippot, pour qui il est « plus fréquent de régler quelques inimitiés par Twitter que dans la tendance opposée », ajoute Jean-Yves Camus. « Les réseaux sociaux permettent l’émergence d’opinion sans filtre, on peut parler directement aux gens », commente l’énarque FN Jean Messiha, évacuant le cas de l’ancien sherpa de Marine Le Pen. En face, le leader des twittos anti-Philippot s’appelle Louis Aliot. Le député et vice-président du FN était particulièrement remonté contre l’ancien chevènementiste, comme quand il a publié cette photo de montgolfière échouée, la nuit précédant la démission de l’ancien lieutenant de Marine Le Pen, ou qu’il a « liké », deux jours plus tard, un tweet accusant d’antisémitisme un proche de Sophie Montel.
a« Dire les choses de manière moins… normée »
Notons que Marine Le Pen elle-même avait sa technique pour participer aux débats sur le réseau au petit oiseau bleu : un compte sous un faux nom, Anne Lalanne en l’occurrence (découvert en 2015 par Le Monde, confirmé à cause d’une erreur entre ses différents profils par MLP en juin dernier), qui lui permettait d’en régler, des comptes.
Bien que @enimar68 ne tweete plus tant que ça depuis que l’on sait qui est derrière, Marine Le Pen y avait un ton plus libre que sur son compte officiel, point apprécié par les militants, beaucoup considérant les messages des profils du FN et de sa présidente comme trop « langue de bois ». « Ça suscite la volonté chez certains de dire les choses de manière moins… normée », explique Jean-Yves Camus.