Protéger son enfant sur le Web, de la pédagogie plus que de la technique?
WEB•Le Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information (Clemi) publie ce vendredi un « Guide de la famille tout écran » pour aider les parents à protéger les enfants sur le Web sans brider les potentialités du numérique....Fabrice Pouliquen
Ça s’appelle Family Link app. L’application, lancée mercredi par Google,vise à apporter une solution aux parents soucieux de contrôler leurs enfants sur le Web. Une fois installée sur le téléphone de l’enfant, ils pourront garder un œil sur les applications utilisées par leur progéniture, leur en interdire certaines, contrôler le temps passé sur le smartphone, voire même déterminer un « bedtime », autrement dit une heure à partir de laquelle l’écran s’éteint.
Cette application rejoint une longue liste d’outils technologiques pour surveiller ses enfants sur la toile. Des applications qui bloquent les portables aux logiciels de contrôle parental sur le Web, en passant par la géolocalisation ou des moteurs de recherche comme Qwant Junior (solution française), qui filtre a priori les contenus auxquels pourraient avoir accès les enfants.
Mais ces solutions marchent-elles ? Une étude de l’Université d’Oxford, tout juste publiée et relayée par le site Internet Numérama émet quelques doutes, du moins sur les logiciels de contrôle parental qui permettent de bloquer du contenu dangereux ou inapproprié.
Quelle efficacité des filtres parentaux ?
Entre avril et juin 2015, les scientifiques Andrew Przybylski et Victoria Nash ont interviewé 515 adolescents entre 12 et 15 ans, dont autant de filles que de garçons. Premier enseignement : 14 % des interviewés ont indiqué avoir été exposés à des expériences négatives en ligne, que ce soient des images choquantes ou des vidéos à caractère sexuel.
Le deuxième : « Contrairement à nos hypothèses, aux politiques et aux conseils du secteur […] nous avons trouvé des indices convaincants que les filtres Internet ne sont pas efficaces pour protéger les adolescents », concluent les deux chercheurs. D’ailleurs, 9,6 % des adolescents interviewés disent avoir les compétences techniques pour contourner ces filtres.
Pas de solution technique miracle
« Il n’y a pas de solution technique miracle, résume Jean-Philippe Merriaux, directeur du Clemi (Centre de liaison de l’Enseignement et des médias d’Information) qui sort ce vendredi un Guide de la famille tout écran sur la question.
« Suivant l’enfant, certaines vont se révéler efficaces, d’autres non. Mais d’une manière générale, tous ces outils techniques qui visent à limiter l’utilisation de l’outil Web peuvent avoir des effets pervers. Vous êtes amenés à avoir un contrôle très strict, à espionner vos enfants. » Un côté Big Brother d’une certaine façon. « Ces outils peuvent entraîner chez l’enfant une perte de confiance voire une autocensure », reprend Jean-Philippe Merriaux.
Dans leur étude, les chercheurs Andrew Przybylski et Victoria Nash ont souligné cette limite. Non seulement, ces logiciels de contrôle parental sont peu efficaces, mais ils bloquent aussi des informations pertinentes sur des sujets utiles aux adolescents. « Des recherches qu’ils pourraient faire par exemple sur l’alcool, la drogue, les relations sexuelles, la santé… », estiment-ils dans leur étude. Le fait même de savoir l’existence de ces filtres pousserait les enfants à s’autocensurer sur Internet.
Pas qu’une question de technique
Pour Jean-Philippe Merriaux, « il ne faut pas tout alors miser sur les solutions techniques, mais y joindre aussi une nécessaire pédagogie. « Installer l’ordinateur dans une pièce dédiée, interdire les smartphones et tablettes dans la chambre sont aussi des solutions efficaces », indique Jean-Philippe Merriaux.
Ce travail de pédagogie a commencé petit à petit à l’école, notamment à travers la stratégie «Faire entrer l’école à l’ère du numérique ». « L’enjeu est de montrer ce qu’il est possible de faire de positif avec le numérique comme de sensibiliser aux dangers et à la prise de recul quant à l’information qu’on y reçoit », détaille Jean-Philippe Merriaux. Des classes ont créé des comptes Twitter, les nouveaux programmes primaires et collège intègrent des formations à la recherche sur le Web et il y a aussi des ateliers d’éducation aux médias… »
Une nouvelle fracture ?
Le guide de la famille tout écran, que sort ce vendredi le Clemi, vise alors à faire la passerelle entre l’école et la maison. « L’enjeu est là aujourd’hui, assure Jean-Philippe Merriaux. La fracture numérique a longtemps été une histoire d’accès ou non à Internet. La question se pose moins en 2017. On a beaucoup plus facilement accès au Web désormais. Mais est-ce qu’on a tous l’aptitude à prendre du recul et à remettre en question ce qu’on voit sur le web ? La fracture est là aujourd’hui. »