«Je bois des cafés, je me fais avorter»: Une jeune femme raconte son avortement sur Instagram
TEMOIGNAGE•Une jeune internaute a publié son journal post-avortement sur Instagram pour sortir des clichés et le récit refait surface en cette Journée mondiale du droit à l’avortement…Oihana Gabriel
Non, il n’y a aucune photo sur ce récit Instagram. Mais l’histoire de Clara Lalix, une internaute qui a choisi de résumer son avortement en 26 posts, « sans anonymat et sans tabou » sous le titre : Je bois des cafés je me fais avorter. Repéré en mars dernier par le Huffington Post, le récit refait l’actu en ce 28 septembre, Journée mondiale du droit à l’avortement.
Un récit authentique et détaillé
A la place d’images de test de grossesse, de gynécologues et de larmes, on découvre 26 slogans, des bouts de vie qui au premier abord n’ont rien à voir avec la grossesse : « Moi je vais me bourrer la gueule avec un copain et je rentre ivre en Vélib ». Mais en cliquant sur cette première phrase, la légende devient récit et s’enrichit pour rentrer dans les détails du quotidien bouleversé (ou pas) de Clara. « Je passe les deux jours suivants à traîner sur Doctissimo en me sentant comme quelqu’un qui envisage pour la première fois qu’elle possède un utérus », raconte avec humour l’internaute.
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3. Mardi 24 & mercredi 25 mai Je passe les deux jours suivants à traîner sur Doctissimo en me sentant comme quelqu’un qui envisage pour la première fois qu’elle possède un utérus. Je n’y trouve que des filles qui sont hyper angoissées à l’idée de NE PAS être enceintes. Elles espèrent toutes que cette fois ce sera la bonne. Elles guettent l’arrivée des remontées acides, elles palpent leurs seins, ont arrêté de boire au cas où « bébé aurait déjà pointé le bout de son nez ». Moi je vais me bourrer la gueule avec un copain et je rentre ivre en Vélib. YOLO. #Doctissimo #utérus #filles #angoisse #panique #enceinte #copain #ivre #vélib #Paris11 #Paris18 #printemps #avortement #choix #histoire #droits #temoignage #recit #vie #ecrire #mots #textes #touteunehistoire #instalivre #lire #raconter
Une publication partagée par Clara Lalix (@jeboisdescafesjemefaisavorter) le 27 Févr. 2017 à 4h06 PST
Et ces 26 slogans deviennent ainsi un mini-livre sur Instagram. Pourquoi avorter ? « J’ai 26 ans, je suis en stage. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. (…) Je ne sais même pas de qui il est. »
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7. Jeudi 26 mai Il y a peu j’ai repris contact avec une de mes meilleures amies d’adolescence. Elle est médecin et elle est même à deux pas du boulot. Marion est rassurante et comparée au jour où elle a demandé à ma mère qui sortait tout juste de la clinique d’y amener la sienne, rien de ce qui arrivera aujourd’hui ne sera vraiment dramatique. J’essaie de l’appeler. Messages : - Je ne peux pas répondre, qu’est-ce qu’il y a ? - Le test est positif. - Merde. - Le test peut se tromper ? - Non. Elle me donne rendez-vous à 13h. Lorsqu’elle arrive, je lui prends sa main et la pose sur mon ventre. - Touche, on le sent déjà. - Tu vas le garder ? - Mais enfin Marion, c’est une blague ? - Est-ce que tu veux le garder ? - T’es sérieuse ? - Si c’est moi qui m’occupe de ton IVG, je suis obligée de te demander ça. - Non, je ne peux pas. J’ai 26 ans, je suis en stage. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. Marion, je ne sais même pas de qui il est. - Est-ce que tu as envie de le garder ? - Non. Sur le moment, j’ai pensé que c’était une manie de médecin, une clause dans le serment d’Hippocrate : répéter chaque question trois fois. Depuis j’ai réalisé que je n’avais pas compris la question. Est-ce qu’on veut le garder ? #meilleureamie #amie #medecin #docteur #26ans #manie #question #comprendre #jeudi #Paris11 #enceinte #printemps #avortement #choix #histoire #droits #temoignage #recit #vie #ecrire #mots #textes #touteunehistoire #instalivre #lire #raconter
« Je veux qu’on en parle beaucoup et je veux qu’on en rigole »
Et Clara ne tait aucun détail sur le déroulement des examens et d’une IVG médicamenteuse, tout en parsemant son histoire de touches d’humour. : « C’est juste un petit pois qui prouve que je suis fertile », écrit-elle. Sans passer sous silence les douleurs et conséquences psychologiques : « Je n’arrive pas à déterminer quelle partie est la moins traumatisante : observer entre ses cuisses l’embryon tomber dans les toilettes ou perdre son poids en sang pendant six jours. » Mais le déni et le catastrophisme, très peu pour elle : « Je veux qu’on en parle beaucoup et je veux qu’on en rigole. J’ai peur de ne pas réaliser. » Avant de poster un florilège de blagues sur l’avortement.
Un récit authentique et poignant qui se conclut avec les mots de la grand-mère de Clara, qui elle aussi, des années auparavant a choisi l’avortement. Et de le raconter avec une bonne dose de détachement : « C’est bien gentil, mais le pape il n’élève pas des gosses, ce n’est pas lui qui est toute la journée à les torcher. »
Une volonté de lever un tabou
Un témoignage qui, comme le blog ivg, je vais bien merci, lève un tabou. Volontairement. Les sites de désinformation sur l’avortement pullulent et multiplient les témoignages de femmes traumatisées.
Dans sa postface, Clara revient sur ce débat sur les conséquences psychologiques d’un avortement : « Évidemment qu’un avortement peut être très douloureux, aussi bien physiquement que psychologiquement. Aucune conséquence psychologique ne saurait néanmoins devenir l’argument d’une plaidoirie anti-avortement. Est-ce que les études des souffrances psychologiques induites par l’accouchement, la maternité et la parentalité sont jamais interprétées comme des remises en cause pernicieuses et cachées du droit d’avoir des enfants ? »
« Aujourd’hui, il n’est plus de bon ton d’être anti-IVG, souligne Véronique Séhier, co-présidente du Planning familial. C’est pourquoi ces sites pro-vie insistent sur les conséquences psychologiques dramatiques, le risque de devenir stérile… Or, ce récit sur Instagram prend le contre-pied de ce discours dramatisant. C’est important d’entendre des témoignages positifs alors qu’on reste dans une culture de sacralisation de la grossesse où l’avortement rime avec douleur et difficulté. Mais une grossesse est positive quand elle est choisie ! Et un avortement peut être un soulagement. »
Partager son histoire pour s’en délester
Clara Lalix a choisi de partager et de poster sur le réseau social sa vision, son ressenti lors de son avortement quelques mois plus tôt. Un journal intime qu’elle a en réalité rédigé à l’été 2016. La jeune Française, qui vit à Bruxelles a confié au Huffington Post qu’elle avait pris la plume « pour le côté rédempteur de l’écriture, pour m’en délester » affirmant que « ça lui a fait du bien ».
Et si cette thérapie par l’écriture a fait du bien à l’auteure… elle semble aussi toucher les internautes et en soulager certaines. En postant son récit très personnel sur un réseau social, Clara s’exposait aux critiques. Mais dans les commentaires, beaucoup la remercient : « C’est bouleversant et très courageux de mettre des mots sur cette histoire. Vous êtes une « briseuse de tabous » et cela fait du bien ! », poste ainsi marionevert. Et Manontalment de confier : « Merci d’avoir mis des mots sur les images et les maux que mon cœur tente d’enterrer en vain ». «Une femme sur trois en France est concernée par l’avortement, dont deux tiers sous contraception, rappelle Véronique Séhier du Planning Familial. Il est important de dire que l’avortement est un événement courant dans la vie des femmes, même si ce n’est pas une partie de plaisir ! »