HIGH-TECHPrésidentielle: Liker ce qu’on déteste, ça fait du bien

Présidentielle: Pour ne plus tourner en rond sur les réseaux, sortez de votre «bulle»

HIGH-TECHDes outils américains comme «Flip Feed» ou «Escape your bubble» permettent aux Républicains de se confronter aux opinions des Démocrates, et vice-versa, sur Twitter et Facebook. Une idée à adopter en France à l’approche de l'élection présidentielle?...
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

Aux Etats-Unis, il a fallu une victoire, celle de Trump, pour que les outils apparaissent. Lancés par des journaux ou des développeurs, ils proposent «d’explorer la façon dont les réseaux sociaux peuvent être utilisés afin d’atténuer la polarisation idéologique, au lieu de l’exacerber». C’est ainsi que les chercheurs du Laboratory for Social Machines du MIT présentent FlipFeed, une extension Chrome qui permet de «renverser» quelques instants votre fil (timeline) à l’opposé de votre position sur le spectre politique. Comme si en pleine affaire Fillon, vous pouviez aller facilement lire ceux qui le défendent, et vice-versa.

Un clic suffit pour revenir à la normale. Mais plus ouvert au débat? A un mois et demi de l’élection présidentielle, alors que 41% des Français disent s’informer «souvent» par Internet et les réseaux sociaux (là où 44% des Américains citent Facebook comme source), la démarche pourrait-elle inspirer les électeurs français?

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Quand les Bleus voient rouge

Une première initiative américaine était née quelques mois avant l’élection. En mai 2016, le Wall Street Journal crée «Blue Feed, Red Feed». Mis côte à côte, deux fils d’infos Facebook permettent de lire l’actualité du jour du point de vue démocrate ou républicain, sujet par sujet, de la couverture maladie à l’immigration en passant par le port d’armes à feu.

L’idée: «démontrer à quel point la réalité [de l’actualité] peut être différente pour les utilisateurs de Facebook.» Plusieurs études se sont en effet inquiétées que les réseaux sociaux puissent créer des «chambres d’écho», où les utilisateurs ne voient que des opinions (via des posts d’amis ou articles) conformes aux leurs. Ajoutez à ça le biais de confirmation – via lequel nous sommes plus sensibles aux informations qui vont dans notre sens qu’à celles qui nous contredisent – et vous obtenez des citoyens qui tournent en rond.

La bulle a toujours été là

Puis, le 8 novembre, Trump est élu. La plupart des Démocrates disent n’avoir «rien vu venir». Le débat sur la «bulle de filtre» occupe les médias pendant des semaines. Inventé en 2011 par l’activiste Eli Pariser (cofondateur des sites Upworthy et Avaaz.org), le concept part du constat que les algorithmes nous présentent les contenus en fonction de nos préférences, et en conclut qu’ils nous confinent dans un environnement fermé coupé de toute opinion contraire.

Le concept même de «bulle» peut être contesté: pourquoi accuser les algorithmes quand il est évident que notre «bulle» est déjà forgée par notre environnement affectif, social, médiatique?

Malgré tout, impossible de nier qu’un réseau social comme Facebook est celui de l’entre-soi, et qu’il nous fera rarement entendre des voix opposées aux nôtres. Quelques semaines après l’élection de Trump, «une poignée d’ingénieurs s’est alors tournée vers le code dans l’espoir d’éclater les bulles», racontait Wired fin 2016.

Sous le choc après s’être imaginé depuis des mois avec une Clinton présidente, un ingénieur américain imagine «Escape your Bubble»: l’outil permet d’injecter dans son fil d’actualité des articles pro-démocrates si l’on se déclare républicain – et inversement. De façon assez artisanale puisque l’ingénieur choisit lui-même les articles. Il adresse par ailleurs aux abonnés une newsletter hebdomadaire.

Newsletter d'Escape your Bubble, 19 février.
Newsletter d'Escape your Bubble, 19 février.  - Escapeyourbubble

Celle du 19 février nous propose «une excellente enquête du New York Times qui donne la parole aux supporters de Trump au sujet des manifestations anti-Trump» ou un autre article au sujet des Démocrates qui adhèrent aux théories du complot… Le tout accompagné de ses commentaires, appelant à «remonter aux sources et penser par soi-même» plutôt que «d’accabler Trump par réflexe, en relayant le dernier gros titre de CNN».

Autre initiative, celle d’un étudiant d’Harvard qui avait voulu échanger avec un électeur de Trump pour «comprendre» (lui avait voté Clinton) et avait vu sa demande devenir virale: il crée HiFromTheOtherSide, une sorte de site de rencontres entre pro-Trump et pro-Clinton, qui peuvent y programmer appels, Skype ou cafés en tête-en-tête. Ont suivi Unfiltered.News, qui permet via la datavisualisation de montrer quels sont les sujets abordés dans le monde en dehors de son propre pays, ou la newsletter Echo Chamber Club.

Comment éclater sa bulle?

Faut-il, comme l’écrit Wired, considérer comme «naïve» l’idée que «quelques lignes de code et de bonnes intentions pourraient corriger les dégâts faits par les algorithmes»? Ou peut-on souhaiter qu’en France de tels outils, peut-être issus de la Civic Tech – qui regroupe les initiatives qui veulent réinventer la démocratie grâce aux outils numériques – soient créés, afin d’ouvrir les réseaux sociaux à la contradiction, à deux mois de l’élection?

«Les outils de ce type vont se développer»: Anaïs Théviot, docteure en science politique et spécialiste de la participation politique en ligne, n’en doute pas. Et même si notre système politique est plus complexe que le bipartisme américain. «La France est souvent en retard. Mais en attendant, on peut "éclater sa bulle" de manière artisanale.» Comment?

  • «D’abord, on peut choisir d’avoir un compte Facebook ouvert: on peut très bien soi-même décider qu’on va liker la page Facebook de Marine Le Pen ou celle d’un autre parti. Liker directement une page de candidat permet de voir leur stratégie sans le filtre médiatique, ça peut être intéressant». D’autant qu’il suffit de commenter - sans qu’il soit question de liker – un article, pour que l’activité soit repérée par l’algorithme de Facebook, qui introduira alors plus de diversité dans sa sélection.

La démarche est commune sur Twitter. «Les militants y suivent les candidats et militants du parti adverse, cela fait partie de leur travail de veille», rappelle Anaïs Théviot, dont la thèse était consacrée au militantisme en ligne.

Comme la pratique n’est pas courante sur Facebook, elle peut susciter l’incompréhension. Ce journaliste, par exemple, en a fait l’expérience...

Un journaliste qui a liké la page de Marine Le Pen a été surpris par la "levée de boucliers" qui s'en est suivie.
Un journaliste qui a liké la page de Marine Le Pen a été surpris par la "levée de boucliers" qui s'en est suivie.  - FB
  • Autre option, «dépersonnaliser ses recherches sur Google» [un tutorial signalé par Business Insider France est ici], et supprimer son historique de recherches, pour que l’algorithme ne nous emmène pas toujours aux mêmes articles. «Les plateformes ont créé ces options pour contrer les critiques d’hyperpersonnalisation, on peut en profiter pour un usage politique».
  • La chercheuse propose aussi de tester les outils américains cités plus-haut. Et enfin de «conscientiser le profil politique de nos amis». L’extension PolitEcho propose par exemple de se rendre compte de leur répartition sur le spectre politique.

Des citoyens-acteurs moins crédules?

«On est acteur de sa bulle. On peut la forger comme l’éclater, estime Anaïs Théviot. Mais tout le monde souhaite-t-il le faire? Ce n’est pas certain. Car c’est un confort», rappelle-t-elle. «Or quand on ne sait pas pour qui voter c’est important de le faire. Avoir une pluralité d’opinion, c’est la base de la démocratie. Pour l’ouverture d’esprit, pour développer un argumentaire.» Comme le font les militants, mais en tant que citoyen lambda.

En France, c’est une idée défendue depuis des années par le sociologue Gérald Bronner, pour lequel nous vivons dans La Démocratie des crédules (PUF, 2013), et dans laquelle il nous appartient de nous corriger les uns les autres.

«La citoyenneté, ce n’est pas Amazon», lançait en décembre au Monde Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, penseur des liens entre Internet et la démocratie depuis les années 1990, dans une interview où il fustigeait l’immobilisme de Facebook et Twitter quant aux fausses informations. Il poursuivait: «La citoyenneté, c’est être confronté à des idées qu’on n’a pas envie d’entendre. Je ne devrais pas pouvoir être en mesure de bâtir un monde dans lequel je me protège des idées avec lesquelles je suis en désaccord. Et c’est exactement ce que font les algorithmes de Facebook. Or Facebook peut changer ça».

En parallèle, «il ne faut pas oublier que ceux qui se désintéressent de la politique n’ont accès à aucun contenu politique sur leurs réseaux sociaux», tempère Anaïs Théviot. Internet a multiplié les possibilités d’engagement et d’implication, mais sans transformer miraculeusement les masses en citoyens engagés. Le débat reste très monopolisé par les militants. Malgré tout, entre les deux campagnes présidentielles, «les usages sur Twitter et Facebook se sont beaucoup professionnalisés, souligne Anaïs Théviot, et pendant que les partis politiques s’en sont emparés, le public a pris conscience du jeu des algorithmes et des data.» C’est un début.