Photo instantanée: Souriez, elle se développe comme jamais !
PHOTO•Disparue au début des années 2000, la photo instantanée renaît de ses cendres. Alors que les ventes d’appareils et de pellicules s’envolent, elle ne touche plus uniquement les nostalgiques de l’argentique, mais prioritairement les jeunes, nouveau adeptes du souvenir sur papier glacé…Christophe Séfrin
Clic, clac, merci… Instax ! Depuis plusieurs années, le signé Fujifilm a replacé face aux objectifs le concept de photo instantanée. Inventé par le fondateur de Polaroid Edwin Herbert Land, le procédé avait connu son heure de gloire dans les années soixante-dix avec des appareils photo emblématiques tel le .
Mais la photo numérique est passée par là. Et, comme pour la photo argentique, le désamour fut cinglant. En 2007, la production d’appareils photo Polaroid à développement instantané s’interrompt, suivie en 2009 par celle des films dédiés. Certains, comme la firme , en ont depuis profité pour s’engouffrer dans la brèche. En marge de différentes éditions d’appareils photo argentiques lookés vintage, Lomo surfe aussi sur le nouvel engouement pour l’instantané avec ses appareils .
, qui avait de son côté profité de l’arrivée des brevets Polaroid dans le domaine public dans les années quatre-vingt-dix, a tenu bon durant la crise avec ses Instax. Et ne le regrette pas.
Une crédibilité retrouvée
Au salon de la photographie qui vient de se tenir à Cologne, « 50 % du stand Fujifilm était consacré à l’Instax et à son écosystème, c’était hallucinant », s’étonne encore Patrick Lévêque, photographe professionnel distribué par l’agence SIPA.
« La photo instantanée était vraiment le gros sujet du salon, elle gagne terriblement en crédibilité », constate elle aussi Alexia Hocquette, directrice d’ en France. La société créée en 2008 par des anciens de « Pola » a racheté la dernière usine de films Polaroid afin de poursuivre leur production.
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Et branle-bas-de combat entre deux Wurstsalats à la Photokina : la marque iconique Leica a profité du salon pour annoncer la sortie mi-novembre du , son appareil photo instantané.
« Leica est une vieille maison plutôt habituée à être considérée comme institutionnelle. Nous avions envie d’apporter une touche de renouveau à notre univers », justifie Jérôme Auzanneau, le Directeur général de Leica France. Mais contrairement aux Instax ou aux Lomo’Instant que l’on trouve pour moins de 100 euros, le Sofort émargera à 279 euros. « On y croit vraiment. On pense que c’est un complément de notre gamme qui va vers l’élargissement de la clientèle. Il faut la rajeunir, il n’y a pas de secret », confie le patron de Leica France à « 20 Minutes ».
Après les nostalgiques, les jeunes se l’approprient
Les jeunes. Ce seraient donc eux les nouveaux aficionados de la photo instantanée. Les idôlatreurs de smartphones et de , les disciples de et de ses photos qui s’évaporent en pinceraient donc pour des clichés sur papier. On croit rêver. Pourtant, non. « S’ils ont été séduits par les vertus du smartphone et son immédiateté, les jeunes ont de plus en plus besoin de laisser une vraie trace, de conserver ce qu’ils font. Ils veulent voir du papier », note Patrick Lévêque. Même constat chez Lomography. « Si l’on a parmi nos acheteurs des gens qui ont fait de l’argentique toute leur jeunesse et veulent retrouver le plaisir de la photo papier, les jeunes représentent une grosse partie de notre clientèle », constate Morgane Stampfer, responsable de la communication de Lomography en France.
Une heure passée dans la boutique parisienne* de la marque de photo suffit pour s’en persuader : c’est un défilé permanent de 15-30 ans venus se renseigner ou s’approvisionner en pellicules.
Confirmation auprès du numéro un du secteur : « nos acheteurs ne sont pas des nostalgiques, mais des digital natives qui n’ont connu que la photo numérique. Ils ont de 12/13 ans à 30 ans et sont majoritairement des femmes, même si la clientèle devient de plus en plus masculine », observe Franck Portelance, responsable des relations extérieures de Fujifilm France. « J’utilise mon appareil photo instantané essentiellement en soirée. C’est toujours l’occasion de laisser un petit cadeau à quelqu’un ou d’épingler des souvenirs sur le mur de ma chambre », indique Léa, 22 ans, venue s’acheter de nouvelles pellicules à la Fnac Herblay.
Des ventes en hausse de 900 %
La petite histoire veut que ce soit une série télévisée coréenne dans laquelle il apparaissait qui ait relancé l’Instax de Fujifilm.
Un public de jeunes asiatiques s’est aussitôt approprié l’appareil photo rondouillard en plastique dont les clichés se révèlent en quelques minutes. Depuis, le succès s’est emballé. « Nos ventes mondiales ont connu un taux de croissance de 300 % de 2013 à 2015. Durant la même période, elles ont bondi de 900 % en Europe », révèle Franck Portelance. D’après nos calculs, Fujifilm devrait vendre 180.000 Instax en France cette année…
Le prix des consommables n’arrête pas les passionnés
Paradoxe cependant : si les appareils photo instantanés restent relativement accessibles (moins de 100 euros pour la plupart), les petites cartouches de papier que l’on y glisse coûtent un bras. A raison de 10 vues par cartouche, il faut compter environ 1 euro la photo instantanée au format 86 x 54 mm. Grosso modo, c’est dix fois plus cher que les classiques tirages photo 10 x 15 commandés sur les sites de développement en ligne. De leur côté, les films Impossible Project au format carré (pour les anciens Polaroid) sont encore plus chers : de 18 à 21 euros la boîte de 8 vues, soit 2,25 euros la photo au minimum !
Oui mais, précise Morgane Stampfer chez Lomography : « avec l’argentique et l’instantané, on contrôle les consommables et l’on réfléchit avant d’appuyer sur le déclencheur ». « L’image retrouve une valeur faciale, presque monétaire, et sentimentale. Contrairement à la photo numérique, la photo instantanée est un objet qui peut être donné, affiché », renchérit Franck Portelance chez Fujifilm. Le prix n’arrête visiblement pas les acheteurs : Fujifilm indique vendre 10 films par an et par appareil photo instantané en Asie, contre 4,5 films en Europe. De son coté, Impossible Project, qui a vendu un million de films dans le monde en 2015, prévoit une hausse de ses ventes de 15 % environ en 2016.
Quand la photo analogique rencontre le numérique
A l’image du disque vinyle, la photo instantané repart à la conquête du public. Désormais au-delà du simple phénomène de mode, elle ne reprendra évidemment jamais la place que le numérique lui a fait abandonner, mais peut profiter des progrès techniques pour évoluer. Dernier exemple en date, .
Imaginé par Clément Perrot et David Zhang, deux jeunes anciens de Polytechnique, cette coque pour smartphone (vendue 150 euros) transforme les iPhones d’Apple et Galaxy S de Samsung en Polaroid : on y glisse une cartouche de 10 feuilles (comme pour les Instax), et l’on prend des photos qui seront instantanément révélées. « On était épatés par cette excitation autour de l’instantané, par le fait qu’en soirée les gens se bagarraient presque pour obtenir un cliché », explique Clément Perrot. Mais Prynt va plus loin. Lors de la prise de vues réalisée à travers son application, c’est une séquence vidéo de quelques secondes qui est enregistrée et hébergée sur le cloud. Si l’on obtient bien une photo instantanée comme avec d’autres appareils, elle s’anime brièvement dès lors qu’on la scanne avec un smartphone sur lequel l’application Prynt est embarquée. Un petit côté magique, un peu comme avec les « Live photos » des iPhones ou une photo Snapchat qui deviendrait physique…
A ce jour, Prynt revendique déjà 25.000 ventes et près d’un million de photos prises. Et devinez quoi ? Les acheteurs de Prynt sont encore des jeunes. Le patron de la start-up l’avoue : « on ne s’y attendait pas du tout ».
* 17, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, Paris IVe.