INTERVIEWFin des 140 caractères sur Twitter: «C’est comme demander à une Ferrari de rouler en centre-ville»

Fin des 140 caractères sur Twitter: «C’est comme demander à une Ferrari de rouler en centre-ville»

INTERVIEWSpécialiste des réseaux sociaux, Romain Rissoan juge sévèrement l’annonce de Twitter de revenir sur sa limitation du nombre de caractères…
Nicolas Beunaiche

Propos recueillis par Nicolas Beunaiche

Twitter cherche-t-il à plaire aux bavards ? Dix ans après sa création, le réseau social s’apprête à lancer, à la fin du premier trimestre, une fonctionnalité qui permettrait de mettre fin à sa limitation des messages à 140 caractères. « Nous avons passé du temps à observer ce que les gens font sur Twitter… et nous les avons vus faire des captures d’écran de textes et les tweeter », a justifié le patron de l’entreprise. Concrètement, un tweet apparaîtra toujours en 140 caractères, mais une fois que l’utilisateur cliquera dessus, il pourra voir l’intégralité du texte, d’une longueur maximale de 10.000 caractères. Une révolution au pays des twittos. Romain Rissoan, consultant et auteur du livre Les réseaux sociaux (éditions ENI), la décrypte.

Pourquoi Twitter projette-t-il d’augmenter le nombre de signes maximum sur le réseau ?

Le problème de Twitter, c’est qu’il ne gagne pas d’argent. L’entreprise a clairement besoin de trouver une solution et elle cherche à attirer davantage d’utilisateurs en démocratisant son outil.

En ressemblant à Facebook ?

Twitter veut rentrer dans le moule. Il n’y a qu’à voir le dernier changement en date : la transformation du bouton « favori » en bouton « j’aime ». Avant, il servait la plupart du temps à mettre un tweet de côté pour lire l’article en lien plus tard ; désormais, il équivaut au like de Facebook. Twitter veut concurrencer Facebook plus frontalement et ne plus être un outil réservé aux geeks. C’est la stratégie de tous les réseaux sociaux en ce moment. Ils se disent que les gens ont besoin de codes, d’un même référentiel pour que chacun s’y retrouve. S’inscrire à Pinterest doit être la même chose que s’inscrire à Facebook ou à Instagram.

Au final, l’enjeu est évidemment publicitaire…

Bien sûr. Plus un réseau social a d’utilisateurs, mieux il peut valoriser la publicité sur ses pages. Or, aujourd’hui, Twitter est l’équivalent de Bing par rapport à Google sur ce marché. Les entreprises achètent d’abord de la pub via Google AdWords et Bing ne vient qu’après, comme les internautes vont d’abord sur Facebook et ont éventuellement un compte Twitter également.

L’augmentation du nombre de caractères maximal répond-elle au moins à un besoin des utilisateurs ?

Je pense que oui. La preuve, c’est qu’ils publient souvent des messages découpés en plusieurs morceaux. Mais ce n’est pas sans risque auprès des fidèles de la plateforme.

De quel risque parlez-vous ?

Le projet de Twitter va dénaturer l’outil en le rendant plus abordable et plus proche de Facebook. C’est comme si on demandait à une Ferrari de rouler en centre-ville… Quand il a été lancé, en 2006, Twitter n’acceptait ni les photos ni les vidéos, et limitait les messages à 140 caractères. Dix ans plus tard, ces trois principes sont enterrés. Les premiers utilisateurs peuvent avoir l’impression que Twitter est en train de perdre son âme. Le risque pour l’entreprise, c’est donc de perdre son cœur d’utilisateurs. Mais il faut croire que cet argument ne pèse pas assez lourd dans la réflexion de ses dirigeants.