INTERVIEW«Le “Big Data” nous permet de faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire auparavant»

«Le “Big Data” nous permet de faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire auparavant»

INTERVIEWA l’occasion de sa venue au Congrès Big Data Paris 2014 et de la sortie en France de son «bestseller» sur le sujet, «20 Minutes» a rencontré le journaliste Kenneth Cukier…
Anaëlle Grondin

Anaëlle Grondin

«Le "big data" est partout». Kenneth Cukier en est persuadé, nous sommes au cœur d’une révolution qui va transformer nos vies et refaçonner le monde. Le journaliste de The Economist vient de sortir en France un ouvrage très clair et instructif sur la question, «Big Data: La révolution des données est en marche» (Robert Laffont). Un livre qui faisait partie des meilleures ventes aux Etats-Unis l’an dernier. Entretien.

En quoi le «big data» est en train de révolutionner le monde?

Grâce à la quantité colossale de données que l’on peut collecter et traiter aujourd’hui avec les nouvelles technologies, on peut faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire auparavant. Et ces données sont utilisées pour faire des statistiques dans des domaines dans lesquels elles n’avaient jamais été utilisées, comme les ressources humaines, la publicité.

Qu’est-ce qu’il est possible de faire aujourd’hui qui n’aurait pas été réalisable auparavant?

Prenez la traduction. Il y a 20 ans, si vous tapiez une phrase de l’anglais au français sur un site Web dédié, il traduisait les mots de manière littérale. Le résultat était ridicule. Le système ne marchait pas bien car il choisissait les mots en piochant simplement dans un dictionnaire alors qu’ils peuvent avoir plusieurs significations: «Light» peut dire «lumière» ou «léger» en français. Il faut pouvoir prendre le contexte en compte. Au début des années 2000 les sites de traductions ont commencé à utiliser beaucoup plus de données pour améliorer le service. Les outils de Google marchent très bien aujourd’hui grâce à cela.

Dans votre livre, vous expliquez que le «big data» est bénéfique pour tous…

Le domaine de la santé est un bon exemple. Une personne arrive en urgence à l’hôpital, le médecin essaye plusieurs traitements en fonction du diagnostic en espérant que cela fonctionne. Lorsqu’elle quitte l’hôpital, on ne garde pas ces informations pour les agréger et les analyser: quel médicament fait effet, à quelles conditions, avec quels types de patients, pour quels symptômes, et avec quel autre médicament pris en même temps? Tout cela est jeté à la poubelle avec les seringues usagées, alors que nous pouvons utiliser ces données pour guérir les futurs patients.

Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle pour les consommateurs, par exemple?

Ils peuvent aussi en tirer des bénéfices. Quand on recherche des vols en ligne, les prix fluctuent constamment, on ne sait pas par avance si le tarif du billet d’avion va augmenter ou diminuer plus tard. Mais si vous collectez assez de données, vous serez capables de faire des prédictions et de prendre vos billets au meilleur moment. Un service américain baptisé Farecast y est parvenu. Il a dû traiter 200 milliards de données concernant le prix des vols, ce qui représente presque tous les sièges de tous les avions de toutes les compagnies aériennes du pays sur un an.

Et tout cela, ce n’est qu’un début, selon vous…

Les entreprises utilisent des données depuis un moment comme les habitudes d’achat. Mais il y a bien plus à faire. Il faudrait pouvoir en réutiliser certaines comme les données médicales. Dans le domaine de l’éducation, rien du tout n’est recueilli pour le moment. Nous devons réfléchir à comment utiliser toutes les informations à notre disposition pour améliorer la société.

En tant que citoyens, devons-nous accepter de livrer toutes ces données et de dire adieu à notre vie privée pour avoir accès à ces services?

Nous avons abandonné notre vie privée depuis longtemps déjà. Simplement en choisissant de vivre dans une ville, nous perdons notre anonymat, les caméras de surveillance peuvent nous filmer. Mais c’est vrai qu’on est dans une période où des entreprises recueillent des données à des fins que nous ignorons. Il faudra redéfinir la notion de vie privée avec des lois, mais il n’est pas évident de définir lesquelles doivent être établies.

Tout ne peut pas être réduit à des chiffres… Quelle place pour l’intuition, le doute?

Les données nous permettent de voir des choses que nous n’aurions jamais pu voir autrement. C’est très important d’adopter le «big data». Mais dans le même temps, nous devons garder notre bon sens, notre sagesse, notre créativité. Les données représentent seulement un aspect de la réalité.