INTERVIEW«Apple se comporte plus comme une entreprise, il y a moins de passion»

«Apple se comporte plus comme une entreprise, il y a moins de passion»

INTERVIEWDe passage à Paris, Adam Lashinsky, journaliste pour «Fortune» à San Francisco et spécialiste de la firme à la pomme, a répondu aux questions de «20 Minutes» sur la stratégie du groupe américain, au moment où il s'apprête à lever le voile sur un iPad mini...
Le siège d'Apple Inc. à Cupertino en Californie.
Le siège d'Apple Inc. à Cupertino en Californie. - Paul Sakuma/AP/SIPA
Propos recueillis par Anaëlle Grondin

Propos recueillis par Anaëlle Grondin

Adam Lashinsky est éditorialiste pour le magazine Fortune et intervient sur la chaîne américaine Fox News. Il couvre la Silicon Valley depuis plus de dix ans. Le journaliste, qui a publié cette année le livre «Inside Apple – Dans les coulisses de l’entreprise la plus secrète du monde», était de passage à Paris en ce début de semaine. 20 Minutes l’a rencontré.

Apple devrait présenter ce soir une version plus petite et moins chère de son iPad. Pourquoi sortir un iPad mini?

Apple a besoin d’égaler la concurrence: Google, avec son Nexus 7, et Amazon avec son Kindle Fire. L’entreprise veut être présente sur tous les marchés. Tout le monde répète: «Steve Jobs a dit qu’il ne jouerait jamais sur la taille de la tablette». Je pense qu’il ne le voulait pas. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’aurait pas fini par changer d’avis. C’était un homme d’affaires avant tout. Si Apple pense qu’il peut dominer sur un marché, la firme ne va pas s’en priver.

Cela fait un peu plus d’un an maintenant que Steve Jobs a été emporté par un cancer. Comment Apple a évolué depuis?

Apple n’a pas beaucoup changé. Seulement par petites touches, si l’on compare avec l’époque Jobs. Elles concourent certainement à apporter plus grand changement à l’avenir. Mais ce n’est pas encore le cas. Un exemple de petites choses qui ont changé: Steve Jobs n’aimait pas l’idée des dividendes, Tim Cook a accordé des dividendes. Et puis Apple se comporte plus comme une entreprise. Il y a moins de passion. Cela vient de Tim Cook.

Que voulez-vous dire par «moins de passion» ?

Dans la relation entre les employés et la firme. Un journal américain affirme que les salariés sont beaucoup moins appelés au milieu de la nuit. C’est anecdotique, mais une de mes connaissances a déjeuné avec un employé d’Apple récemment. Et cette personne avait le temps de prendre un café. A l’époque de Steve Jobs, c’était impensable.

Vous pensez que c’est une bonne chose pour Apple?

C’est bien qu’ils se comportent de manière plus rationnelle s’ils veulent durer encore longtemps. Mais d’un autre côté, s’ils perdent leur intensité cela pourrait leur nuire.

Apple n’a pas perdu sa capacité à innover?

Je pense que c’est trop tôt pour l’affirmer. Même quand Steve Jobs était encore à la tête d’Apple, la firme n’arrivait pas avec un nouveau produit fantastique tous les six mois, tous les ans, et même tous les deux ans. Il n’y a jamais eu de changements majeurs d’un iPhone à l’autre quand on y repense. Aujourd’hui, Apple est plus lente qu’auparavant, pour plusieurs raisons. L’entreprise est plus importante. Elle est implantée dans beaucoup plus de pays, elle a plus de produits.

Mais les premières réactions au moment du lancement de l’iPhone 4S puis de l’iPhone 5 étaient catastrophiques pour la firme. Les gens étaient très déçus…

Nos attentes sont trop élevées. On voudrait qu’Apple guérisse le cancer et mette fin à la famine dans le monde…

Ce mois-ci, Tim Cook s’est excusé pour l’application Maps, arrivée avec iOS 6 alors qu’elle n’était pas du tout au point. C’était une première pour Apple. N’était-ce pas une erreur pour l’image de marque de l’entreprise?

Une erreur de s’être excusé? Dieu non. Je comprends l’argument «ils ont montré une faiblesse». Au moment de l’ «Antennagate», Steve Jobs ne s’est pas excusé. Et ce qu’il a dit [les utilisateurs ne savent pas tenir leur téléphone] était insultant. Je pense au contraire que Tim Cook a montré de l’humilité en faisant ça. Il a été honnête. Il y a dix ans, la communauté Apple était minuscule. Elle était composée de fans de Macs uniquement. Apple pouvait dire «ce n’est pas un problème» puis réparer l’erreur un peu plus tard. Mais quand vous avez des centaines de millions de clients à travers le monde, ces gens-là ne tolèrent pas qu’on leur dise qu’ils tiennent mal leur téléphone. En revanche, c’était une énorme erreur d’avoir évincé Google Maps et lancé Apple Maps alors que l’application n’était pas du tout au point. Pourquoi avoir lancé une application moins bien? Je ne comprends toujours pas.

Vous être plongé dans l’univers Apple pour Fortune et pour écrire «Inside Apple», cela ne vous influence pas? Vous n’avez pas fini par avoir un penchant pour la pomme?

C’est une question légitime. Je ne suis pas un expert en produits. Je me penche surtout sur la stratégie d’Apple, ses pratiques, le fonctionnement de l’entreprise. A côté de ça, ma boîte me prête un PC pour travailler, j’ai écrit Inside Apple sur un ordinateur HP. J’ai un iPad, mais aussi un Kindle Fire pour voir. Le smartphone que j’utilise en priorité est BlackBerry. J’ai pris un iPhone à côté pour les applications sociales… qui me servent à promouvoir mon livre (rires).