JUSTICEDéchoir quelqu'un de sa nationalité pour polygamie, mission impossible?

Déchoir quelqu'un de sa nationalité pour polygamie, mission impossible?

JUSTICEL'affaire semble mal embarquée au niveau juridique. 20minutes.fr fait le point...
Maud Pierron

Maud Pierron

Si le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, veut déchoir de sa nationalité française le conjoint de la conductrice à la burqa, l’affaire semble mal embarquée au niveau juridique. Eric Besson, le ministre de l’Immigration à qui le dossier a été confié, en convient lui-même. Sauf à changer la loi.

Qui peut être déchu de sa nationalité française?

Seule une personne ayant la double nationalité. Le Code civil stipule en effet qu'une déchéance n’est possible que si la personne ne devient pas apatride. Le conjoint de la conductrice à la burqa, Algérien d’origine, a été naturalisé français après son mariage, en 1999.

Dans quelles situations la déchéance est-elle possible?

L'article 25 du Code civil détermine cinq situations, très précises, relevant notamment de l’espionnage, du terrorisme et de la sécurité nationale. Le cas de l’homme dans le viseur de Brice Hortefeux, soupçonné de polygamie et de fraudes aux allocations familiales, ne rentre dans aucun de ces cas. De même, son appartenance présumée au mouvement radical «tabligh», dévoilée par Brice Hortefeux, n’en fait pas pour autant un terroriste, en l’état des informations disponibles.

Reste l’article 23.7 du Code civil, assez flou pour laisser la place à des interprétations contradictoires, selon lequel «le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'Etat, avoir perdu la qualité de Français». C’est certainement sur cet article que les experts évoqués par Eric Besson débattent. D’après Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS spécialiste de l’immigration, cité par l’AFP, «le gouvernement ne peut rien» car «c'est le Conseil d'Etat qui fixe les règles et qui est chargé d'interpréter» les faits. En la matière, la jurisprudence est très mince.

Sans être déchu, dans quel cas peut-on perdre sa nationalité?

Si le décret de naturalisation a été obtenu «par mensonge ou par fraude», il peut être annulé selon l’article 27-2 Il faudrait donc que le supposé polygame ait contracté un autre mariage civil avant 1999, en France ou à l’étranger, pour que son union soit déclarée nulle et qu’il perde ainsi sa nationalité, par décret. A noter qu’à la mairie de Rezé, où il habite, aucun acte de mariage n'a été retrouvé dans les registres municipaux, selon un porte-parole de la mairie. Dans le cas de la déchéance ou de la perte de nationalité, l'indiviu peut de nouveau demander à être Français. «En théorie, c'est possible, mais dans la pratique, cela reste compliqué», nous dit-on au ministère de l'Immigration.

Que risque-t-on pour polygamie?

Un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. La bigamie, et par extension la polygamie, est en effet interdite depuis 1993 par l’article 433-20 du Code pénal. Ceci étant, l’infraction est très difficile à prouver. Pour le moment, on ne connaît qu’une union officielle à l’homme incriminé. S’il a quatre foyers, rien ne prouve qu’il ait contracté autant de mariages, même religieux. L’article 433-21 précise que tout ministre d’un culte, rabbin, prêtre ou imam, doit réclamer un certificat de mariage civil avant de procéder à l’union religieuse. Formellement, le présumé polygame ne serait «coupable» que d’adultère, ce qui n’est plus un délit en France depuis 1975. «Si on est déchu de sa nationalité pour avoir des maîtresses, il y a beaucoup de Français qui seraient déchus de la nationalité», a d’ailleurs rappelé le Français d’origine algérienne lundi, lors d’une conférence de presse.

Et pour la fraude aux allocations familiales?

Il faut restituer la somme à la Sécurité sociale. L’individu en question serait le père de douze enfants, qu’il aurait eu de quatre femmes, chacune d’entre elles touchant une allocation parent isolé (API), selon Brice Hortefeux. Pour en être bénéficiaire, il faut être célibataire. En l’espèce, ce seraient les femmes qui seraient coupables de fraude à moins que ne soit prouvé un délit d’escroquerie.

Vers une évolution législative?

Peut-être. C’est Frédéric Lefebvre, le porte-parole de l’UMP, qui a ouvert le feu samedi, évoquant une évolution législative pour répondre «à ce type de comportement inacceptable». Eric Besson a lui aussi suggéré une «adaptation législative», qui pourrait avoir lieu lors du vote du projet de loi sur l’Immigration. Avant d'imaginer cette issue, il faut attendre les résultats de l'enquête, que celle-ci établisse ou non des infractions et qu'un jugement et une éventuelle condamnation soir prononcés. Si tous ces éléments sont réunis, «si la déchéance n'est pas possible en l'état actuel du droit, alors on pourraitr envisager une évolution de la loi, soit de l'article 25 soit du 27-2», confie un conseiller du ministère de l'Immigration à 20minutes. fr. En attendant, «il ne faut tirer aucune conclusion, en rester aux faits et prendre des gants».

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