Kouchner reste drapé dans son honneur
POLEMIQUE•Le ministre réfute les allégations de Pierre Péan, qu'il qualifie de «nauséabondes»...Armelle Le Goff
Le chouchou des Français va-t-il s'en sortir? Admiré pour son engagement humanitaire au sein d'organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières ou Médecins du monde, homme de gauche, ministre d'un gouvernement de droite, Bernard Kouchner fait face depuis mercredi aux virulentes accusations de conflit d'intérêts portées par le journaliste Pierre Péan dans «Le Monde selon K.» (Fayard). Sommé de s'expliquer à l'Assemblée, il a affirmé avoir agi «en toute transparence et toute légalité» et a dénoncé une attaque parfois «grotesque et nauséabonde». Le point sur la polémique.
1. Que lui reproche Pierre Péan?
La principale accusation du journaliste tient aux activités de consultant exercées par l'actuel ministre des Affaires étrangères avant son entrée au gouvernement, entre 2002 et 2007. Employé par Africa Steps, Danomex ou Imeda (International Medical Alliance), sociétés gérées par Eric Danon et Jacques Baudouin, qui le rejoindront ensuite au Quai d'Orsay, Kouchner aurait effectué des contrats de conseil sur leurs systèmes de santé pour le Gabon ou le Congo. Facturées près de 4,6 millions d'euros, ces prestations, non soldées au moment de sa prise de fonctions en 2007, auraient donné lieu à des relances auprès des gouvernements de ces deux pays de la part du ministre et de ses anciens employeurs.
2• Quelle est la défense de Bernard Kouchner?
Aux accusations de conflit d'intérêts, le ministre affirme ce jeudi, dans une interview au Nouvel Observateur, n'avoir «jamais signé un seul contrat avec un Etat africain. Jamais», arguant n'avoir été qu'un consultant employé par Imeda. A son arrivée au ministère, il affirme avoir, avec Jacques Baudouin, son conseiller presse [et ancien employeur], «immédiatement mis un terme à nos activités (...). Quant à Eric Danon, il est diplomate de carrière, et sur cette question de droit, le comité d'éthique du ministère va se prononcer prochainement.» Il ajoute avoir «toujours agi dans la légalité et la transparence, déclaré mes revenus, payé mes impôts».
3• Kouchner peut-il perdre son poste de ministre?
L'Elysée suivrait l'affaire de très près. Pour l'instant, ni Nicolas Sarkozy ni son entourage n'ont réagi officiellement. En revanche, mercredi, le chef du gouvernement, François Fillon, a dit sa «confiance» et son «respect» à Bernard Kouchner, estimant que «rien ne justifie que la réputation d'un homme soit ainsi piétinée à la suite de simples allégations». Extrêmement populaire et symbole de la volonté d'ouverture à gauche du Président, Kouchner n'est pas pour autant à l'abri. Si les accusations de Péan ne peuvent inquiéter le ministre sur le plan légal, elles pourraient en revanche porter atteinte à son image et, par conséquent, à sa raison d'être au gouvernement. C'est d'ailleurs sur ce plan que l'auteur du «Monde selon K.» affirme se situer: «Je parle d'une distorsion entre ce qu'il fait d'une façon générale et l'image qu'ont les Français de lui. L'image, c'est le chevalier blanc avec le socle de la morale. Je trouve dès le début des années 1990 un certain nombre de choses qui ne sont pas en accord avec cette image.»
4• Qui est Péan et quelles sont ses motivations?
Journaliste, auteur d'enquêtes reconnues sur le passé vichyste de François Mitterrand* notamment, il est renommé pour son sérieux. En s'attaquant à TF1** ou au Monde***, il se taille une réputation de polémiste. «Noires fureurs, blancs menteurs» (éd. Mille et Nuits), dans lequel il dénonce «la culture du mensonge» qui fait des Hutus les seuls responsables du génocide de 1994 au Rwanda, lui vaut une action en justice de SOS Racisme et des rescapés du génocide pour incitation à la haine raciale. Relaxé en novembre 2008, il affirme avoir décidé de «s'attaquer» à Kouchner lorsque ce dernier choisit, en mai 2007, de tendre la main à Paul Kagame, le président rwandais. «Un chef d'Etat (...) considéré par la justice française comme un criminel de guerre et par la justice espagnole comme un génocidaire», écrit Péan.
5• Quelle est la part du règlement de comptes?
La charge est si violente qu'on peut légitimement s'interroger: quelle est la part du règlement de comptes dans cette affaire? Une question dont pâtissent les révélations, pourtant étayées, de Pierre Péan. Michel-Antoine Burnier, ami de Kouchner depuis 1964 et auteur d'une biographie hagiographique de plus de 500 pages, «Les 7 Vies du Dr Kouchner» (XO), accuse même de manière voilée Pierre Péan d'antisémitisme. Selon Burnier, l'ouvrage charrie, de par ses accusations de «cosmopolitisme» et «d'affairisme», «des relents nauséabonds».
* «Une jeunesse française, François Mitterrand» (Fayard).
** «TF1, un pouvoir» (Fayard), coécrit avec Christophe Nick.
*** «La Face cachée du Monde» (éd. Mille et une nuits), coécrit avec Philippe Cohen.