Les juges d'instruction célèbres: d'Eva Joly à Fabrice Burgaud, du succès au fiasco
JUSTICE•Nicolas Sarkozy a annoncé la suppression des juges d'instruction. Chargés à la fois d'enquêter et d'organiser les procès, ils ont marqué l'histoire judiciaire française...Maud Descamps
Eva Joly et l'affaire ELF: la justicière qui inspira Chabrol
D'origine franco-norvégienne, Eva Joly est nommée en 1990 juge d'instruction au pôle financier au Palais de justice de Paris. Elle instruit plusieurs affaires connues. Après s'être occupée de l'affaire Bernard Tapie, elle hérite (quand?) de l'affaire Elf qui aboutit à l'incarcération de l'ancien PDG, Loïk Le Floch-Prigent. Eva Joly est reconnue comme la magistrate qui a ouvert les yeux des citoyens sur les rouages de la corruption dans les milieux politico-financiers. En 2006, le cinéaste Claude Chabrol s'inspire de l'affaire et de la vie d'Eva Joly pour son film «L'Ivresse du pouvoir».
Eva Joly se consacre aujourd'hui à la politique et sera candidate sur la liste des Verts en Ile-de-France aux élections européennes de 2009. Une priorité pour l'ancienne juge: la lutte contre la délinquance financière et la corruption.
>> A lire également: Nicolas Sarkozy supprime les juges d'instruction, ici!
Jean-Michel Lambert et l'affaire du petit Grégory: l'histoire sans fin
L'affaire du petit Grégory est celle de tous les dérapages. Dénonciation, assassinat, violation du secret de l'instruction, acharnement médiatique. L'affaire passionne, mais la justice est incapable de trouver le meurtrier de Grégory Villemin, retrouvé le 16 octobre 1984 dans la Vologne.
Bernard Laroche, cousin du père de Grégory, est dénoncé par sa belle-sœur. Elle se rétracte et Laroche clame son innocence, mais il est inculpé du crime par le juge d'instruction d'Épinal, Jean-Michel Lambert, le 5 novembre 1984. Contre l'avis du ministère public , il est libéré en février 1985 par le juge et se fait tuer quelques semaines plus tard par le père de Grégory. Le 3 février 2003, le dossier du meurtre, non élucidé, est clos. L'Etat français est condamné, le 28 juin 2004, à verser 35.000 euros d'indemnités pour «faute lourde» à chacun des époux Villemin. Le 3 décembre 2008, la cour d'appel de Dijon ordonne la «réouverture de l'enquête».
Eric Halphen et les HLM de Paris: l'homme qui fait trembler la République
Juge d'instruction à Douai puis à Chartres, Eric Halphen rejoint le tribunal de grande instance de Créteil en 1989. C'est en 1994 qu'il devient célèbre en instruisant l'affaire des HLM de Paris et des HLM des Hauts-de-Seine. Une affaire longue et complexe qui l'amènera à quitter la magistrature pendant plusieurs années, après avoir «subi des pressions» et des «tentatives de déstabilisation».
L'enquête débute en septembre 1994 et met en cause 49 personnes, dont des personnalités politiques comme Jean Tibéri, alors maire de Paris, ou encore Jacques Chirac, convoqué comme témoin, dans une grande histoire de fraude et de financement opaque du RPR. L'instruction est particulièrement difficile. Après des années de procédure, Eric Halphen est dessaisi de l'enquête en septembre 2001 par la cour d'appel de Paris, qui annule une partie de la procédure pour vice de forme. C'est le juge d'instruction Armand Riberolles qui lui succède.
Jean-Louis Bruguière et l'anti-terrorisme: le juge qui flirte avec la politique
Action directe, les attentats du RER de 1995, les attaques du 11-Septembre, les grands dossiers sur le terrorisme sont passés entre ses mains. Mais sa proximité avec le monde politique déplait. Lorsqu'il apporte son soutien à Nicolas Sarkozy et se présente aux élections législatives, une plainte est déposée au Conseil d'Etat pour souligner l'illégalité de sa candidature. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le contraint alors à démissionner en juin 2007.
Marie-Odile Bertella-Geffroy et les grandes affaires médicales
Chargée de l'instruction au Tribunal de grande instance de Paris, Marie-Odile Bertella-Geffroy est spécialisée dans les affaires médicales. Vache folle, amiante, sang contaminé ou encore Tchernobyl, Marie-Odile Bertella-Geffroy est «la spécialiste» des grands scandales médicaux. Elle est actuellement chargée de l'affaire du petit Ilyes, décédé après qu'une infirmière a administré par erreur à l'enfant une perfusion de chlorure de magnésium au lieu d'un sérum glucosé destiné à le réhydrater.
Renaud Van Ruymbeke et Clearstream: dans le collimateur du garde des Sceaux
Connu pour l'affaire des frégates de Taïwan, Renaud Van Ruymbeke a mené l'instruction de plusieurs grandes affaires politico-financières. Il a été vivement critiqué pour son implication dans l'affaire Clearstream. Après qu'un corbeau lui a fait parvenir des noms de personnalités politiques qui seraient impliqué dans l'affaire, le juge fait interpeller le vice-président d'EADS, Philippe Delmas, à Toulouse, qui sera ensuite innocenté. Le garde des Sceaux de l'époque, Pascal Clément, lui demande alors des explications. Renaud Van Ruymbeke est entendu par l'Inspection générale des services judiciaires. Ces derniers lui reprochent «un manquement aux devoirs de son état de magistrat et de son devoir de loyauté».
Il est maintenant au pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris et chargé de l'affaire Kerviel, l'ancien trader de la Société générale.
Le juge Burgaud et l'affaire d'Outreau: le fiasco
C'est sûrement l'une des affaires les plus marquantes de ces dernières années mais aussi le plus gros fiasco judiciaire. Elle débute en 2000 à Boulogne-sur-mer où les services sociaux signalent des soupçons d’abus sexuels sur enfants à Outreau. Une information judiciaire est ouverte pour viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme. Le jeune juge d’instruction Fabrice Burgaud dirige l’enquête et le procès s'ouvre en mai 2004. Dix-sept adultes comparaissent devant la cour d’assises du Pas-de-Calais. Six sont condamnés. En 2005, Myriam Delay, principale accusatrice de l’affaire, avoue «avoir menti» et innocente les accusés.
Pour la première fois, le président de la République présente ses excuses aux anciens accusés, par le biais d’une lettre rendue publique par l’Elysée. Le ministre de la Justice de l'époque Pascal Clément affirme la «nécessité» d’une réforme de la procédure pénale, qui passera notamment par la fin du travail en solitaire du juge d’instruction pour les affaires complexes. La machine est lancée…