« Les pompiers volontaires craignent pour leur avenir », l’autre combat des soldats du feu
INTERVIEW•Les pompiers volontaires, qui constituent près de 80 % des effectifs de pompiers, n’ont pas manifesté mardi 15 octobre. Ils craignent la disparition de leur statut, ce qui provoquerait une cassure dans le système français de secours, explique Hugues Deregnaucourt, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers.Propos recueillis par Charles-Edouard Ama Koffi
L'essentiel
- 190.000 pompiers volontaires renforcent les effectifs de pompiers sur l’ensemble du territoire.
- Leur statut est menacé par une directive européenne qui provoquerait la disparition du statut de pompier volontaire.
- La Fédération nationale des sapeurs-pompiers a fixé un ultimatum au ministre de l’Intérieur, jusqu’au mois de janvier, pour garantir leur statut.
Près de 190.000 soldats du feu manquaient à l’appel de la manifestation du mardi 15 octobre. Et pour cause, seuls les 45.000 pompiers professionnels étaient appelés à défiler dans les rues de la capitale. N’ayant pas le statut de salarié, les pompiers volontaires ne sont pas représentés par les sept syndicats qui ont lancé l’appel à battre le pavé.
Pourtant, leur statut est menacé, alerte la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) par la voix de son vice-président, Hugues Deregnaucourt, directeur départemental du SDIS 01.
Étiez-vous à la manifestation de ce mardi ?
Non, je n’étais pas à Paris, car la FNSPF n’appelait pas à la manifester même si on partage une grande partie des revendications portées par les sept syndicats.
Pour quelles raisons la FNSPF n’a pas appelé à manifester avec les sept autres syndicats de pompiers professionnels ?
C’était avant tout des revendications corporatistes de la part des pompiers professionnels. Nous, nous sommes sur une stratégie de dialogue avec le ministère de l’Intérieur qui, on l’espère, va aboutir. Au sein de la fédération, il y a 250.000 personnes, dont environ 193.000 pompiers volontaires. Hier, il n’y avait que les pompiers professionnels qui ont manifesté. Nous avons une autre stratégie, le but étant d’obtenir des réponses à nos questions.
Quelle est-elle ?
On a posé un ultimatum de trois mois au ministre de l’Intérieur lors du congrès national des sapeurs-pompiers de France qui s’est tenu à Vannes mi-septembre. Nous avons laissé 112 jours, en référence au numéro d’urgence. La réponse du gouvernement est donc attendue pour la mi-janvier.
Quelles sont les revendications portées par les pompiers volontaires ?
Ils ont une grande inquiétude sur leur avenir, car il s’agit d’un engagement altruiste et citoyen qui est faiblement indemnisé, à hauteur de 8 euros de l’heure environ. Il y a une vraie crainte sur l’avenir de ce modèle car il y a aujourd’hui, dans les tuyaux de l’Union Européenne, une directive sur le temps de travail des pompiers volontaires qui tendrait à les reconnaître comme des travailleurs.
En quoi cette perspective vous inquiète-t-elle ?
Aujourd’hui, si le pompier volontaire, qui a un autre travail à côté, comme c’est souvent le cas, devient salarié, il devra choisir. Soit il devient pompier à plein temps, soit il continue son autre activité salariée. Ils choisiront leur activité salariée. On se retrouvera alors avec uniquement les effectifs des pompiers professionnels, qu’on ne pourra pas déployer sur tout le territoire. Il faudra fermer des casernes. Aujourd’hui, on compte environ 6.500 centres de secours et avec la perte des volontaires, on va tomber à 1.500 environ.
Pourquoi un pompier volontaire ne choisirait-il pas de devenir pompier à temps plein ?
Un pompier volontaire réalise environ 200 à 300 heures dans l’année. On est loin des 1.600 heures qu’il peut faire comme plombier, par exemple. C’est la chance que nous avons avec notre système de sécurité civile dit « résilient », c’est-à-dire occasionnel. Lorsqu’il y a une tempête, comme on le voit de plus en plus régulièrement, ou une inondation, vous pouvez faire appel aux volontaires d’astreinte. Une fois que les professionnels ont fait leurs heures, normalement, ils ne peuvent pas en faire davantage.
Pourquoi l’Union Européenne voudrait-elle réformer ce système ?
Une directive du temps de travail qui date de 2003 définit ce qu’est un travailleur. On a longtemps estimé que le volontaire n’était pas un travailleur mais un arrêt de la cour de justice de l’Union Européenne en février 2018 a donné raison à un volontaire en Belgique à qui il a été mis tellement de contraintes qu’il a été reconnu en tant que salarié. Aujourd’hui, il faut un nouvel engagement citoyen pour s’en extraire.
Est-ce le cas aussi en France ?
Des recours ont été déposés par des sapeurs-pompiers qui estiment que ce sont des travailleurs. Il suffit qu’un juge dise « oui » pour que cela fasse jurisprudence. Pourtant, la très grande majorité des volontaires veulent le rester tout en conservant une autre activité à côté.
Vous ne pensez pas qu’ils vont vouloir devenir pompiers à temps plein ?
Non, pas vraiment, parce que ça dépend des périodes. Il arrive qu’on ait beaucoup besoin d’eux, notamment l’été. Il y a de 200 à 300 pompiers volontaires réparties sur une trentaine d’interventions dans l’Ain, où je travaille. Si on n’arrive pas à mettre des volontaires sur certaines opérations, on constate qu’il manque des pompiers professionnels.
Partagez-vous les revendications portées par les pompiers professionnels mardi ?
Nous comprenons le mouvement mais nous ne sommes pas sur la même portée. La montée incessante de l’assistance que récupèrent les sapeurs-pompiers, c’est aussi évident pour nous. Le numéro d’assistance unique, on le souhaite aussi. Les incivilités croissantes, nous sommes d’accord avec ce constat et on souhaite que des décisions soient prises. Le doute que le gouvernement laisse planer sur la réforme des retraites, on le comprend également. Mais on attend des réponses sur l’avenir des pompiers volontaires en France.