Assassinat de Nelly Crémel, deux accusés, deux versions

Assassinat de Nelly Crémel, deux accusés, deux versions

PROCESLes deux hommes sont accusés d'avoir tué la jeune-femme...
A Melun, Bastien Bonnefous

A Melun, Bastien Bonnefous

Ils ont beau être complices dans l’affaire, dans le box ils ne s’entendent plus du tout. Serge Mathey et Patrick Gateau se sont affrontés mardi après-midi, donnant chacun leur version précise de l’enlèvement suivi de l’assassinat de Nelly Crémel le 2 juin 2005, dans un bois près de Reuil-en-Brie (Seine-et-Marne).


Durant l’instruction, les deux hommes ont souvent varié dans leurs souvenirs. Serge Mathey, le plus jeune, a d’abord accusé Patrick Gateau, le professionnel de la grande délinquance déjà condamné à perpétuité pour assassinat, d’avoir organisé l’ensemble de l’opération. Puis il a changé de version pour reconnaître qu’il était l’auteur des coups de feu contre Nelly Crémel, mais le tout sous les ordres menaçants de Patrick Gateau. Patrick Gateau, lui, durant l’enquête, a toujours tout nié, sauf l’intention de faire un simple cambriolage à deux.


Mardi, les deux accusés, debout dans le box et séparés par deux gendarmes, se sont de nouveau expliqué sur le cours des événements, se renvoyant en permanence la responsabilité du drame.


La rencontre des deux hommes


Les deux hommes se sont connus en janvier 2005, soit six mois avant l’assassinat de Nelly Crémel. Serge Mathey, maçon sur chantier, était alors en congé-maladie et vivait à côté de la maison du beau-fils de Patrick Gateau. «On a sympathisé dans le potager, raconte Mathey. Petit à petit, on s’est parlé de nos problèmes d’argent, et Gateau m’a proposé de lui donner des coups de main dans ses travaux de jardinage ou d’entretien. A ce moment-là, il ne m’avait pas dit qu’il avait fait de la prison». Mathey affirme aussi que Gateau «lui tournait autour pour qu’on fasse des ‘coups’ ensemble». «Absolument pas!», répond Gateau.


Le passage à l’acte


Reste que le duo finit par s’entendre sur un passage à l’acte. «Il m’a parlé de ses problèmes d’argent, on est tombé d’accord sur un braquage ou un cambriolage», lâche, laconique, Patrick Gateau. «D’après lui, on aurait pu faire une maison pour revendre la hi-fi», ajoute Serge Mathey. Le président Yves Jacob lui rappelle que durant l’instruction, Mathey avait ajouté que Gateau avait aussi proposé de «se faire une bonne femme». «C’est exact», répond Mathey. «Je n’ai jamais dit ça», rétorque Gateau.


Le jour du drame


Le 2 juin 2005 vers 8h du matin, les deux hommes partent ensemble à bord de la Talbot bleue de Patrick Gateau. C’est Serge Mathey qui conduit. «Gateau avait repéré une maison isolée à Coulommiers», affirme-t-il. «Absolument pas», assure Gateau. C’est en arrivant au niveau de la propriété que Mathey aurait découvert les deux armes apportées par Gateau – un fusil de chasse chargé et un pistolet à grenailles. «Le fusil était armé, précise Gateau, parce que dans la propriété, il y avait un chien », laissant alors penser qu’il connaissait bien cette maison. Inquiétés par le chien, les deux rebroussent chemin. «Gateau m’a dit qu’on allait trouver autre chose, on a tourné sur des parkings de centres commerciaux pour chercher une femme seule à braquer, mais il y avait trop de monde, on ne s’est pas arrêté», raconte Mathey. L’ancien maçon ajoute qu’en chemin, Gateau lui aurait donné «deux petites pillules blanche», lui promettant que ça allait lui «donner la pêche». «Je ne sais pas où il va chercher tout ça», sourit Gateau.


La rencontre avec Nelly Crémel


Continuant leur vadrouille, les deux hommes croisent Nelly Crémel près de Reuil-en-Brie. «On descendait une route, elle la montait, et Gateau m’a dit ‘c’est elle’», attaque Mathey. «Absolument pas, le coupe Gateau. On l’a croisée et on a fait demi-tour parce qu’on avait vu le sac banane autour de son ventre, on a pensé qu’elle pouvait avoir de l’argent ou les clés de chez elle». La voiture dépasse Nelly Crémel, Patrick Gateau descend et la braque avec le fusil de chasse. «Il m’a dit de la faire monter, elle criait au secours, j’avais peur, j’étais terrorisé, quand il avait une arme c’était plus le même homme, il hurlait, il criait, il menaçait… », raconte Mathey. Un souvenir que ne partage pas Gateau. «Mme Crémel était calme, elle est montée à l’arrière, on a discuté avec elle», explique-t-il.


L’intention criminelle


Gateau et Mathey partent en voiture vers la maison de Nelly Crémel dans l’intention de la cambrioler, mais constatant le voisinage important, ils abandonnent. C’est alors que Gateau aurait demandé à Mathey de «trouver un coin tranquille pour se débarrasser» d'elle. «C’est faux, répond Gateau. Quand je me suis rendu compte que c’était impossible d’entrer dans la maison, je voulais la lâcher loin, mais je n’avais aucune intention de lui faire du mal». Mathey, lui, n’en démord pas. «Il m’a dit qu’il fallait qu’on s’en débarrasse parce qu’elle avait vu nos visages et la voiture. C’est là qu’il m’a dit qu’il était connu de la police pour des cambriolages.» Interrogé sur son absence de réactions, le jeune homme déclare: «J’étais comme hypnotisé, j’étais en sueur, j’arrivais pas à faire ce que je voulais».


L’assassinat


Ils arrivent dans un petit bois près de Reuil-en-Brie. «Gateau avait le fusil, il m’a donné le pistolet à grenailles, c’était la première fois que j’avais une arme dans les mains, j’ai voulu essayer de tirer, j’ai visé dans le bois, mais rien n’est sorti», explique Mathey. Gateau affirme au contraire que Mathey «a tiré en direction de Mme Crémel, vers la tête». C’est là que leurs versions respectives deviennent très confuses. Patrick Gateau explique que le pistolet à grenailles ne fonctionnant pas, il l’aurait pris des mains de Serge Mathey pour lui donner le fusil de chasse. «Il y a eu échange d’arme», reconnaît-il, mais il ajoute: «Je ne sais pas pourquoi je lui donne l’arme, au départ, je croyais qu’il voulait faire peur, pas tirer». Gateau affirme s’être ensuite éloigné dans le bois «pour tester le pistolet». «Puis j’entends les coups de feu», lâche-t-il.


La version de Serge Mathey est totalement différente. «C’est vrai, il y a eu passage d’armes, Gateau m’a donné le fusil, mais il m’a dit ‘c’est toi qui vas la tuer’, il m’a dit que j’avais qu’à appuyer… j’hésitais, je voulais pas, alors il m’a mis le pistolet sur la tempe», affirme Mathey. «C’est faux», répond Gateau. «Le premier coup de feu est parti dans le ventre, dans la banane, poursuit Mathey. Gateau a hurlé ‘encore ! y’a deux gâchettes !». «Absolument pas, je n’étais pas à côté», continue Gateau.


La mise à mort


Serge Mathey explique que malgré les deux coups de fusil, Nelly Crémel ne meurt pas sur le coup. «Elle avait la main gauche en avant… elle pleurait… elle criait… Gateau me dit ‘fais la taire ! fais la taire !’. Je l’ai frappée à la tête avec le canon du fusil, trois fois… il m’a dit ‘prends un bout de bois’… j’ai frappé jusqu’à ce qu’elle tombe… avec un rondin…». Les deux hommes cachent alors le corps sous des branchages. « Avant de partir, Gateau m’a montré que le pistolet marchait bien, il a tiré vers la forêt», ajoute Mathey. Gateau ne dément pas et raconte même que rentrant sur Rebais, la commune où ils vivent, ils se sont arrêtés «acheter des cigarettes et boire un verre».


Difficile de faire la part des choses dans toutes ces affirmations. Reste une question centrale posée à Patrick Gateau par Thierry Lévy, l’avocat de Serge Mathey. Le quinquagénaire, déjà condamné à perpétuité pour assassinat en 1990, a été placé en liberté conditionnelle en 2003. «Alors que vous savez que le moindre faux pas peut casser votre conditionnelle et vous renvoyer en prison, pourquoi acceptez-vous de vous lancer dans cette idée de cambriolage avec Serge Mathey», demande-t-il. Visiblement embarrassé, Gateau finit pas répondre: «Il m’a dit qu’il avait des problèmes d’argent, je voulais l’aider, par sympathie». Pas vraiment convaincant.