«On économise plus de CO2 en mangeant deux huîtres»
•INTERVIEW – Jean-Marc Jancovici, expert des problématiques liées au climat et à l’énergie, explique pourquoi couper l’électricité est sans effet…Propos recueillis par Sandrine Cochard
Cinq minutes de noir ne suffiront pas à sauver la planète. Alors que l’Alliance pour la planète (groupement d’associations environnementales) invite, comme en janvier dernier, les Français à marquer leur inquiétude sur le climat, en éteignant la lumière, mardi, de 19h55 à 20h, Jean-Marc Jancovici, expert des problématiques liées au climat et à l’énergie, explique pourquoi couper l’électricité est sans effet.
Quel impact peut avoir l’appel lancé par l’Alliance pour la planète sur la consommation énergétique des Français?
Je vais vous faire sourire mais j’ai calculé qu’on économise plus de CO2 en mangeant deux huîtres.
Pour faire la coquille de 2 huitres (150 grammes de coquille) vous retirez de l'atmosphère 60 grammes de CO2 environ (qui est "inclus" dans le calcaire de la coquille): c'est une espèce d'économie. Si vous éteignez la lumière 5 minutes, vous évitez de mettre dans l'atmosphère 10 grammes de CO2 environ; mieux vaut manger des huitres!
Cette initiative est évidemment symbolique, je soupçonne même le coup médiatique. Pour être pertinente, cette initiative devrait s’accompagner d’un sondage qui traduirait la profondeur de l’engagement des personnes qui vont éteindre leur lumière ce soir. Par exemple, il faudrait leur demander s’ils sont prêts à d’autres initiatives plus courageuses, comme éviter la voiture par exemple.
Ce geste, facile à faire, n’est intéressant qu’en fonction du sens que les gens lui donne: traduit-il une volonté de faire face au problème ou une façon de se donner bonne conscience? Un appel à une journée sans voiture aurait été infiniment plus intéressant. Mais là, l’Alliance pour la planète aurait sans doute été moins suivie.
Quel impact sur le réchauffement peut-on espéré à l’échelle individuelle?
Il faut d’abord savoir que nos rejets de CO2 sont produits, à part à peu près égales, par quatre sources différentes: le chauffage (chaud ou climatisation) des bâtiments où nous vivons ou travaillons; les transports en général (déplacements d’individus, de marchandises, d’alimentation…); la production d’objets manufacturés comme un téléphone ou un agenda (qui nécessitent des usines) et la production alimentaire. Aux personnes sensibilisées de voir comment elles peuvent agir sur ces sources, en choisissant le train ou le vélo plutôt que la voiture par exemple.
Quelle solution à grande échelle pourrait aboutir?
La seule chose est de donner un prix au problème. Le réchauffement climatique est lié à notre économie de marché. Aujourd’hui, il nous faut travailler dix fois moins qu’en 1900 pour se payer une unité d’énergie. Pour se débarrasser du problème, il faut faire en sorte que le prix des matières fossiles, très polluantes, grimpe plus vite que notre pourvoir d’achat.
Cela permettra aux gens de comprendre qu’il faut en consommer moins et les amènera, de fait, à consommer moins. Un prix croissant de ces énergies nous incitera à privilégier une voiture plus petite ou un autre moyen de transport. Mais nous n’en sommes pas encore là, même avec le pétrole. Face à l’épuisement de nos ressources naturelles, donnée que nous ne prenons pas suffisamment en compte, il va bien falloir que l’économie mondiale se passe du pétrole, du gaz et du charbon.