Entreprise: les salariés «lanceurs d'alerte» sont encore peu protégés

Entreprise: les salariés «lanceurs d'alerte» sont encore peu protégés

Dénoncer des faits graves reste un acte de bravoure pour les salariés, les plus "réprimés des lanceurs d'alerte", même si depuis 2013 la loi les protège dans certaines situations, témoignent des experts et des salariés.
© 2014 AFP

© 2014 AFP

Dénoncer des faits graves reste un acte de bravoure pour les salariés, les plus «réprimés des lanceurs d'alerte», même si depuis 2013 la loi les protège dans certaines situations, témoignent des experts et des salariés.

Les lanceurs d'alerte sont rarement des «geeks» comme Edward Snowden, qui avait révélé l'ampleur de l'espionnage électronique américain. «Les plus méconnus et les plus réprimés sont les lanceurs d'alerte ouvriers sur les questions de santé au travail», affirme Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé.

«Courageux», «des travailleurs prennent des mandats» de représentant du personnel, souvent au sein du CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) «et brisent l'omerta».

Ils sont «les sentinelles de la santé publique car les polluants qu'ils sont les premiers à respirer finissent dans nos assiettes et dans l'air», expliquait la spécialiste des cancers d'origine professionnelle dans un récent colloque.

Elle citait alors le long combat mené par le CHSCT de l'usine Adisseo, spécialiste de la nutrition animale, à Commentry (Allier): la vitamine A qui «dope les poulets et donne des cancers du rein aux ouvriers» y reste produite depuis le début des années 80, malgré la condamnation en 2007 de l'entreprise pour faute inexcusable.

Souvent, les salariés, même protégés par des mandats, paient cher. Dans son cas, Philippe Billard, longtemps employé à la maintenance de la centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritime), parle «d'acharnement». Son tort? Avoir levé le voile à plusieurs reprises sur «les conditions de travail et la sous-traitance des risques ionisants», explique-t-il à l'AFP.

Ce technicien CGT a lancé début 2006 avec le CHSCT un droit d'alerte «après une rupture de la gaine du combustible» et s'est élevé contre l'apparition de légionelle dans des locaux.

En mai 2006, il «refuse une mutation forcée». Retrait de salaire, procédure de licenciement... jusqu'en janvier 2009, il est maintenu «en disponibilité, à la maison avec 700 euros de prime en moins». Aux Prud'hommes, il «gagne le droit de retravailler».

Depuis 2009, Endel (filiale de GDF Suez) l'a «mis au placard» dans une agence de mécanique industrielle et pétrochimique, où il a de nouveau bataillé en 2014 pour garder son poste, raconte-t-il.

- L'emploi dans la balance -

Ce délégué du personnel ne regrette rien: «Je ne peux pas supporter que la santé d'un collègue soit sacrifiée».

Il déplore en revanche le peu de soutien «à l'intérieur, des syndicats centraux d'EDF, qui nous disaient de la fermer pour protéger l'usine, les emplois».

Cet argument «insidieux», selon lequel «malgré tout il faut produire», est souvent avancé, déplore le sénateur écologiste Jean Desessard.

Pour protéger les lanceurs d'alerte, le Parlement, poussé par le scandale du Mediator et l'affaire Cahuzac, a voté quatre lois en deux ans. Les deux dernières, en 2013, ont marqué «des progrès considérables», observe Nicole Marie Meyer, de Transparency International, organisation non gouvernementale luttant contre la corruption.

La loi d'avril 2013, à l'initiative des bancs verts, a marqué dans le marbre le droit «de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information (...) dès lors que (sa) méconnaissance (...) lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement».

Malgré cette loi, et l'extension en décembre 2013 des cas d'alerte à la fraude fiscale, la législation «reste lacunaire, sectorielle» et parfois «contradictoire», déplore Mme Meyer. Très en-deçà des législations américaine et britannique, qui prévoient des sanctions pénales pour les auteurs de représailles.

Comme l'ONG, Annie Jouan, de l'association SOS Fonctionnaire victime, demande une loi «globale», qui couvre aussi la dénonciation d'atteintes «aux libertés publiques». Elle évoque le cas de l'ancien policier Philippe Pichon, mis à la retraite d'office en 2011 et condamné pour avoir divulgué dans la presse des fiches de personnalités, un «geste citoyen» pour dénoncer le dévoiement du fichier de police Stic, arguait-il.

«Écarté de (son) service» en 2004 pour avoir «refusé de vendre des emprunts toxiques», Patrick Saurin, porte-parole du syndicat SUD au sein du groupe bancaire BPCE, voit dans les lois de 2013 un «premier pas» mais aujourd'hui encore, dit-il à l'AFP, «la loi ne me protègerait pas».

Cet article est réalisé par Journal du Net et hébergé par 20 Minutes.