Affaire Bodein: la CEDH valide la «perpétuité réelle» pratiquée en France

Affaire Bodein: la CEDH valide la «perpétuité réelle» pratiquée en France

La perpétuité incompressible, instaurée en France il y a vingt ans, ne viole pas les droits de l'Homme: la justice européenne a donné tort jeudi au tueur Pierre Bodein, qui contestait devant elle la plus lourde peine du code pénal français.
© 2014 AFP

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La perpétuité incompressible, instaurée en France il y a vingt ans, ne viole pas les droits de l'Homme: la justice européenne a donné tort jeudi au tueur Pierre Bodein, qui contestait devant elle la plus lourde peine du code pénal français.

Même si cette peine est en théorie perpétuelle, «le droit français offre une possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité, qui est suffisante, au regard de la marge d'appréciation des Etats en la matière», a estimé la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Les juges de Strasbourg ont ainsi rejeté les arguments de Pierre Bodein, surnommé «Pierrot le fou», qui estimait que cette sentence instaurée en 1994 constituait un «traitement inhumain ou dégradant».

Ce criminel multirécidiviste, âgé de 66 ans, avait été le premier à être condamné à cette peine, en 2007, pour trois meurtres particulièrement violents, dont celui d'une enfant de 10 ans. Depuis, elle n'a été prononcée que pour trois autres criminels, dont le tueur en série Michel Fourniret.

Comme la période de sûreté, dont peut être assortie la réclusion criminelle à perpétuité, la peine incompressible écarte les aménagements qui permettraient d'écourter l'incarcération de condamnés jugés dangereux.

Mais une période de sûreté ne peut pas dépasser 22 ans (30 ans pour certains meurtres d'enfants), alors qu'il n'y a aucune limite pour la peine incompressible, qualifiée pour cela de «perpétuité réelle».

C'est cette absence de perspective de sortir un jour de prison que pointait Bodein dans sa requête, sachant qu'en 2013, la Cour avait donné gain de cause à des condamnés britanniques qui remettaient en cause les peines incompressibles pratiquées au Royaume-Uni.

Mais dans son arrêt rendu jeudi, la CEDH a estimé que le dispositif français était différent, dans la mesure où il laissait ouverte la perspective d'un réexamen. Le droit français prévoit «à l'expiration d'une période de trente ans d'incarcération, un réexamen judiciaire de la situation de la personne condamnée et un possible aménagement de peine», a-t-elle souligné.

- Libérable à 87 ans ? -

«Pour cela, le juge de l'application des peines désigne un collège de trois experts médicaux qui rend un avis sur la dangerosité du condamné. Il incombe ensuite à une commission de magistrats de la Cour de cassation de juger, au vu de cet avis, s'il y a lieu de mettre fin» au caractère incompressible de la peine prononcée.

Si tel est le cas, le condamné peut donc à nouveau bénéficier d'aménagements de peines et donc potentiellement être libéré.

Dans le cas précis de Bodein, c'est en 2034 que s'ouvrira cette possibilité d'une éventuelle libération conditionnelle. Il sera alors âgé de 87 ans.

Interrogé par l'AFP avant la publication de l'arrêt, le magistrat et essayiste Denis Salas, tablait sur cette non-condamnation de la France, tout en souhaitant que ces peines puissent être remises en cause.

«Ce sont des peines radicales, qui sont en quelque sorte des substituts à la peine de mort», estimait M. Salas, auteur de «Le Courage de juger» (Bayard, 2014). «La dangerosité d'un condamné doit pouvoir être réévaluée pendant la peine, pas au bout de 30 ans. Quel sens a la réinsertion après une telle durée?».

Dans sa requête devant la CEDH, Pierre Bodein contestait également l'absence de motivation du verdict de la cour d'assises: mais là aussi, les juges de Strasbourg lui ont donné tort, estimant qu'il avait disposé «de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre».

«Pierrot le fou», qui a toujours clamé son innocence malgré des empreintes génétiques le confondant, compte par ailleurs toujours sur un recours en révision de son procès, invoquant depuis 2012 devant la justice française de mystérieux «éléments nouveaux».

«Cette procédure est en cours», a assuré à l'AFP son avocat, Me Dominique Bergmann, qui n'était pas associé à la requête devant la CEDH.

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