Les artisans de la cathédrale de Strasbourg, héritiers scrupuleux des bâtisseurs

Les artisans de la cathédrale de Strasbourg, héritiers scrupuleux des bâtisseurs

Mille ans après la pose de ses fondations, des tailleurs de pierre et des sculpteurs se consacrent toujours à la cathédrale de Strasbourg, perpétuant fièrement sur ce chantier éternel les techniques des bâtisseurs.
© 2014 AFP

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Mille ans après la pose de ses fondations, des tailleurs de pierre et des sculpteurs se consacrent toujours à la cathédrale de Strasbourg, perpétuant fièrement sur ce chantier éternel les techniques des bâtisseurs.

Perché sur un échafaudage à plus de 30 m du sol, Jonathan Waag a une vue plongeante sur les grappes de touristes aux têtes tournées vers le ciel, qui scrutent la célèbre flèche unique du monument achevée en 1439.

Mais le tailleur de pierres est concentré sur son ouvrage, caressant le mortier coloré qu'il vient d'appliquer sur du grès abîmé. «C'est un nouveau produit, je ne sais pas combien de temps ça va tenir», explique le trentenaire, pensif.

L'artisan, affecté ce matin-là aux soins de pierres fragilisées par le temps, fait partie de la vingtaine d'ouvriers de la Fondation de l'Oeuvre Notre-Dame, une institution unique en France dédiée depuis huit siècles à la cathédrale.

Bientôt, l'arrivée du froid mettra fin aux interventions sur la façade sud de l'édifice de style gothique, bâti sur les fondations d'une cathédrale romane érigée à partir de 1015. Il sera alors temps de rejoindre les collègues de l'atelier voisin.

A quelques pas de la cathédrale, dans le fracas du métal qui percute la pierre, des tailleurs y sont en pleine action. Ici, les artisans préparent les remplaçantes des pierres que l'on ne peut plus sauver.

Parmi eux, Vincent Munio s'évertue à atteindre avec son ciseau des zones nichées dans la profondeur d'un baldaquin en grès. «Je crois que je vais avoir un ulcère», plaisante l'artisan de 43 ans, «pur produit» de la Fondation, où il est entré comme apprenti à l'âge de 14 ans.

Il a déjà passé 500 heures depuis juin sur cette pièce et un millier d'heures sont encore prévues, sans compter l'intervention des sculpteurs pour les ornements.

«C'est quand même beau», dit M. Munio en pointant des détails de la pierre taillée. «Et quand j'allume cet aspirateur, j'ai une pensée pour mes prédécesseurs qui travaillaient dans la poussière», dit-il en montrant l'une des trompes bleues qui pendent du plafond de l'atelier.

- Sans pression économique -

Ces tuyaux aspirent les poussières dégagées par le travail de la pierre, pour ne pas inhaler de la silice comme autrefois. Car s'ils utilisent des outils médiévaux pour travailler la pierre, les artisans ne dédaignent pas certaines techniques modernes.

Avant la taille, les blocs de grès sont désormais découpés à la scie à fil diamanté. Autour de la cathédrale, les chariots élévateurs ont remplacé sans nostalgie les roues d'écureuil du Moyen Age. Et à l'avenir, il n'est pas exclu d'utiliser le laser pour nettoyer les pierres.

La modernité est bienvenue, mais à condition qu'elle ne remette pas en cause le strict respect de l'oeuvre des aînés, garanti par les études minutieuses et documentées qui précèdent chaque opération.

«Nous sommes des restaurateurs, il n'y a aucune place pour l'interprétation ou l'improvisation», insiste le responsable des trois sculpteurs de l'atelier, Albert Martz, penché sur l'estampage d'une gargouille.

D'ailleurs, «certains jeunes attirés par le côté artistique peuvent être un peu déçus ici», abonde Eric Salmon, responsable des ateliers de la Fondation, où travaillent quinze tailleurs de pierre, trois sculpteurs, trois maçons, un menuisier et un forgeron.

«Notre grande chance, que n'ont pas les entreprises privées, c'est que nous n'avons pas la pression de la rentabilité», explique-t-il. Une liberté liée à l'autofinancement de la Fondation, qui tire des revenus de son patrimoine foncier et immobilier dans la région.

L'existence de cette structure singulière n'empêche pas l'Etat, propriétaire de l'édifice, de faire intervenir des entreprises privées sur la cathédrale. «C'est important» pour la transmission de certains métiers, estime Pierre-Yves Caillault, architecte des Monuments historiques chargé de la cathédrale.

«Mais la présence permanente de la Fondation, avec des gens passionnés, lui permet d'avoir une connaissance intime de l'édifice, impossible autrement», ajoute-t-il.

Une intimité qui permet de redécouvrir aujourd'hui des polychromies des façades et des statues, en vogue au Moyen Age, mais peu à peu effacées. «C'est un des grands sujets des prochaines années», anticipe Eric Salmon.

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