Zemmour controversé, détesté, mais écouté avec «Le Suicide français»
Succès de librairie, omniprésence dans les médias: le polémiste ...© 2014 AFP
Succès de librairie, omniprésence dans les médias: le polémiste Éric Zemmour n'en finit pas de susciter débats et controverses avec des thèses qui, bien que largement contestées, trouvent un terrain fertile dans les inquiétudes d'une partie de la société.
«Si Éric Zemmour vend autant de livres, c'est parce qu'il exprime clairement ce qu'une partie de la population ressent confusément. Il est le porte-parole de cette population», explique à l'AFP Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique de l'Ifop.
Deux semaines après sa sortie, «Le suicide français», pamphlet catastrophiste où l'essayiste analyse les 40 ans qui ont «défait la France», s'est déjà hissé en tête des ventes.
Sur internet, «le volume de commentaires est très élevé, avec cette particularité: les échanges sont précis sur les idées comme sur les chiffres», indique Jérémie Mani, spécialiste de la modération sur la Toile.
Dans son ouvrage, M. Zemmour plaide pour un retour au protectionnisme, critique l'euro, l'Europe, et évoque les dangers de l'immigration.
Au cœur de la polémique, la thèse controversée selon laquelle tout ne serait pas condamnable dans la politique de Vichy, qui aurait permis de sauver des juifs en France grâce à «la stratégie adoptée par Pétain et Laval face aux demandes allemandes: sacrifier les juifs étrangers pour sauver les juifs français».
Pour les médias, M. Zemmour est un «bon client» et ses fréquentes interventions dopent les audiences.
«Aujourd'hui, le roi de la transgression c'est lui, et le transgressif, c'est ce qui se vend le mieux», regrette Alain Jakubowicz, président de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).
Mais le discours de M. Zemmour, même s'il est lu et écouté, reflète-t-il pour autant ce que pense une majorité de Français?
«Il le prétend. Il se dit isolé dans le paysage politico-médiatique, mais majoritaire dans le pays, ce qui constitue un levier puissant pour ses idées», souligne M. Fourquet. L'argument du «seul contre tous» est à mettre en parallèle avec celui de Marine Le Pen, présidente du Front national, qui se dit «porte-parole des invisibles», précise-t-il.
Mais s'il n'exhorte pas ouvertement à voter pour le FN, les liens entre les thèses défendues par M. Zemmour et celles prônées par le parti frontiste sont évidentes.
«Sur certains sujets, on ne peut qu'être proches: quand il parle d'immigration, de souveraineté nationale, d'Europe, d'euro, de patriotisme», a déclaré mercredi sur i-Télé Florian Philippot, vice-président du FN.
- Réhabilitation du pétainisme -
Pour le politologue Philippe Braud, «il y a dans toutes les sociétés, même les plus démocratiques comme la nôtre, des courants d'opinion souterrains qui échappent au politiquement correct imposé par les élites intellectuelles». Notamment ceux tendant à exonérer le régime de Vichy ou proposant des solutions radicales sur l'immigration.
«Si entre 1945 et les années 80 le pétainisme a été de plus en plus stigmatisé, un courant lié aux enfants et petits-enfants de contemporains de Pétain tente aujourd'hui de réhabiliter le régime de Vichy et Éric Zemmour arrive donc à point nommé pour qu'on reparle de pétainisme», affirme M. Braud.
«J'ajoute qu'il peut se permettre de dire certaines choses parce qu'il appartient à un groupe victime du régime de Vichy. Quand on appartient au camp des victimes, il est plus facile de relativiser les crimes des bourreaux», analyse le chercheur. M. Zemmour, 54 ans, se définit lui-même comme un juif d'origine berbère.
Pour M. Fourquet, le crédit accordé à M. Zemmour est aussi «le symptôme d'une droitisation de notre société», mouvement qui apparaît à travers toute une série de signaux: demande d'autorité accrue à l'école, de répression en matière de justice...
«Plus globalement, on constate un mouvement de réaction d'une partie de la société face aux évolutions engendrées par la mondialisation, qu'il s'agisse de mutations économiques, avec les délocalisations, ou de l'ouverture des frontières.»
«Ses thèses sont majoritaires aujourd'hui malheureusement dans notre société», constate Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, qui parle de «zemmourisation de la société». «Tous les thèmes réactionnaires classiques ont pris le dessus: l'identité par rapport à l'égalité (...), une liberté pour les Français de souche et pas pour ceux qui sont issus de l'immigration, relativiser l'antisémitisme.»