Près de Calais, les migrants jugés dans un tribunal annexe
Une minuscule salle sous un bloc de béton, toute proche du centre ...© 2014 AFP
Une minuscule salle sous un bloc de béton, toute proche du centre de rétention de Coquelles (Pas-de-Calais) et à quelques kilomètres du port de Calais: c'est là que se décide depuis 2005 le maintien ou non en rétention des migrants interpellés alors qu'ils tentent de passer en Angleterre.
Martin, un Albanais de 19 ans, est le premier de la matinée à comparaître devant la juge des libertés et de la détention (JLD) dans cette salle d'audience «délocalisée», annexe du tribunal de grande instance (TGI) de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), coincée entre un parking et un magasin «Electro Dépôt», tout au bout de la zone commerciale.
Le jeune homme, blouson rouge et baskets aux pieds, a été interpellé six jours plus tôt dans l'enceinte du port de Calais, muni d'un passeport mais dépourvu d'un visa pour l'Angleterre. Son vol retour est prévu à la fin du mois à Roissy, mais il explique, traduit par une interprète, vouloir repartir plus tôt pour «commencer des études d'économie», sous le regard déconcerté de la juge.
Après sa comparution, le migrant est reconduit par les hommes de la police aux frontières (PAF) au centre de rétention administrative (CRA), situé à une vingtaine de mètres, séparé du tribunal par deux petits escaliers et un grillage.
Dans la salle d'une vingtaine de places, où le public, rare, doit montrer patte blanche avant de s'installer, les autres retenus discutent avec leurs interprètes, ou attendent patiemment leur tour en silence, sous la garde de la police nationale et de la PAF.
L'un, Albanais de 25 ans, a été découvert dans le coffre d'un véhicule sur le site d'Eurotunnel. Un autre, Erythréen de 37 ans, a été arrêté sur un parking poids lourds du port de Calais. Un troisième, Kurde iranien interpellé la veille de ses 24 ans, a été «attrapé» dans un camion avec huit autres personnes «par les chiens» des autorités britanniques. «Il nous restait cinq minutes pour arriver au bateau, j'aurais pu réussir», peste-t-il.
Comme eux, quelque 1.400 à 1.500 clandestins sont actuellement présents à Calais et ses environs, selon les estimations, avec l'espoir de se rendre en Grande-Bretagne, considéré comme un Eldorado.
- Irrégularités de procédure -
Un peu plus de 2.000 personnes en situation irrégulière ont été placées au CRA de Coquelles en 2013, un chiffre en augmentation de plus de 40% par rapport à 2012, selon France Terre d'Asile qui y intervient, et sont ainsi passées par cette salle d'audience.
«Ils aimeraient nous raconter leur parcours, pendant des heures, mais on est obligé de les stopper dans leurs explications (...). C'est un peu frustrant et dur car notre mission est assez limitée, se borne à vérifier la procédure», souligne Me Alice Almuneau, l'avocate de permanence qui assure la défense des retenus lors de cette audience.
Pour trois des quatre dossiers passant ce jour, l'avocate plaide l'irrégularité de la procédure: à chaque fois, les policiers ont notifié trop tardivement -parfois plus d'une heure après- au procureur de la République le placement en rétention.
«C'est subtil, (...) mais c'est la loi», lance la juge, demandant aux interprètes d'expliquer aux retenus qu'ils vont être remis en liberté, mais qu'ils sont toujours sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) délivrée par le préfet.
Moins d'une heure après son début, l'audience est levée et la grille longeant l'hôtel de police est refermée en vitesse.
«C'est un lieu isolé, éloigné des lieux traditionnels de justice. Les retenus n'ont pas toujours l'impression de passer devant un juge, qu'ils qualifient parfois de +juge de la police+», souligne-t-on à France Terre d'Asile.
L'ouverture de l'annexe de Coquelles en juin 2005, première de ce type en France, avait suscité l'indignation de certaines associations et des syndicats de magistrats et d'avocats qui dénonçaient une «justice d'exception». Cette indignation a été ravivée il y a un an lors des premières comparutions dans une salle similaire, située près de l'aéroport parisien de Roissy.