«Ni De Gaulle ni Mitterrand ne connaissaient le passé de Papon»
INTERVIEW•Au lendemain de sa mort, Annette Wieviorka, historienne et spécialiste de la Shoah, revient sur la vie de PaponAnnette Wieviorka est directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la Shoah.
Maurice Papon a été condamné en 1998 à dix ans de réclusion pour complicité de crimes contre l’humanité. A-t-il eu un rôle important dans la déportation des juifs sous l’Occupation?
Non, au poste de secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, il était un petit rouage de l’administration de Vichy. Il n’a d’ailleurs été condamné «qu’à» dix ans de prison. Mais son procès a été celui par défaut des deux principaux collaborateurs qui ont échappé à la justice: René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, et Jean Leguay, délégué de Bousquet et organisateur de la rafle du Vel d’Hiv. Le premier a été assassiné par un déséquilibré en 1993 et le second est mort dans son lit en 1989. Ils ont échappé à la justice parce que, d’une certaine manière, Serge Klarsfeld, avec les procès de Cologne, souhaitait poursuivre d’abord les coupables allemands avant de mettre à jour la collaboration française.
Lorsqu’il a été jugé, Maurice Papon était bien plus célèbre pour son poste de préfet de police de Paris à la fin des années 50 – et les répressions d’octobre 1961 et du métro Charonne – que pour sa collaboration.
Comment expliquer qu’il ait réussi, après la guerre, à rester à de très hauts postes de l’Etat?
Certes, il y a eu l’épuration mais elle n’a pas entravé les carrières de tous les hauts fonctionnaires. Et puis Maurice Papon a mis en avant qu’il avait aussi fait un peu de résistance. Vous savez, cette question de la collaboration n’a pas tourmenté les gens avec qui il a travaillé. On a du mal à comprendre aujourd’hui que le génocide des juifs n’a pas tourmenté les Français ni la classe politique pendant de nombreuses décennies. Personne ne cherchait à savoir le rôle précis des uns et des autres pendant la guerre. Je crois que ni De Gaulle ni Mitterrand – qui entretenait des liens avec Bousquet - ne connaissaient le passé de Papon. Ils ne cherchaient pas à le savoir en tous les cas.
Très symptomatique a été le témoignage de plusieurs ministres et résistants, pour la défense de Papon lors de son procès, comme Maurice Druon ou Jean Mattéoli.
Peut-on penser qu’un jour il sera jugé également pour son rôle dans la répression du 17 octobre 1961 et du métro Charonne?
Sur la question du génocide juif existe un consensus de la nation exprimée par Jacques Chirac en 1995 qui a reconnu le rôle des autorités françaises dans la collaboration. La guerre d’Algérie fait, elle, encore l’objet de nombreux débats avec la présence en France des harkis, des appelés ou encore des pieds noirs. La rivalité et les massacres entre le FLN et les partisans de Messali Hadj font de cette histoire un enjeu complexe sur lequel un travail historique est en cours. Mais je ne suis pas sûre, personnellement, que la judiciarisation de l’histoire soit une bonne chose tant de temps après.
Propos recueillis par Alexandre Sulzer