InterviewUn ruisseau au cœur de l'enquête sur la mort du petit Emile

Mort d’Emile : « Ça nous ramène à la thèse de l’accident », estime l’ex-directeur du pôle judiciaire de la gendarmerie

InterviewFrançois Daoust revient pour « 20 Minutes » sur les récentes découvertes du crâne et des vêtements du petit Emile
Alexandre Vella

Propos recueillis par Alexandre Vella

L'essentiel

  • Emile Soleil était porté disparu depuis le 8 juillet 2023, jour où il a échappé à la surveillance de ses grands-parents dans le village du Haut-Vernet.
  • La découverte de son crâne, samedi par une randonneuse, suivie de celle de ses vêtements à une centaine de mètres, lundi est la première réelle avancée dans cette enquête.
  • « 20 Minutes » s’est entretenu avec François Daoust, directeur pôle judiciaire de la gendarmerie.

Des récentes découvertes importantes mais un mystère encore entier. Après neuf mois à piétiner, l’enquête sur l’affaire du petit Emile s’est subitement accélérée ce samedi 30 mars, avec la découverte de son crâne par une randonneuse, à une vingtaine de minutes de marche du Haut-Vernet, village des Alpes-de-Haute-Provence, lieu de sa disparition le 8 juillet dernier.

Une première découverte de son crâne a eu lieu samedi, suivie ce lundi de celle de ses vêtements, aux abords d’un ruisseau, à une centaine de mètres du crâne. Pour autant, ces avancées ne semblent pas s’être avérées, pour l’heure, déterminantes pour l’élucidation de la mort du garçonnet. Pour tenter d’y voir plus clair, et de comprendre quelles formes devrait prendre à présent cette enquête, 20 Minutes a interviewé François Daoust, ex-directeur du pôle judiciaire de la gendarmerie qui comprend notamment l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale), largement mobilisé sur cette affaire.

Au vu des récentes découvertes, quelles sont les suites possibles pour l’enquête ?

Sur la table, trois hypothèses sont ouvertes : 1/ L’enfant s’est perdu. 2/ Il y a eu un accident causé par un tiers qui a déposé le corps. 3/ C’est un meurtre.

Donc, maintenant, le but est d’essayer de retrouver le maximum d’indices à travers les habits et les ossements. Il faudrait retrouver d’autres ossements et essayer de remonter le ruisseau le plus haut possible. Car on voit bien que du fait de la configuration des lieux, les ossements ont certainement été dérangés par les pluies, et donc il faut remonter le ruisseau en amont qui pourrait être le point zéro. Celui de la chute de l’enfant, ou bien du lieu où il s’est arrêté, épuisé, avant de décéder. Ou encore, pour rester sur l’hypothèse de l’enfant perdu, l’endroit où il est tombé dans le ruisseau et s’est noyé rapidement.

Après, il faudra faire la même chose en aval. Parce que les crues ont pu emporter les morceaux et les ossements ont pu continuer leur course.

Ainsi, même si le procureur dit ne privilégier aucune hypothèse, la thèse de l’accident s’épaissit selon vous ?

Ces premiers éléments nous ramènent plus vers la thèse d’un accident que celui d’un crime. Maintenant, il faudra voir ce que donnent les analyses des vêtements, s’ils portent, par exemple des traces de sang. Ce qui veut dire qu’il aurait été blessé. Comment ? Par qui ? D’autres questions seraient posées.

Est-ce une nouvelle enquête qui démarre à présent ?

Oui, c’est une nouvelle enquête. A partir du moment où on sait qu’il est mort, et qu’il était là depuis un moment, il faut tout reprendre en supposant que cela date depuis le premier jour.

Après avoir séjourné, on l’imagine, neuf mois dans nature, que peut-on espérer trouver sur les vêtements ?

Si on avait des coupures nettes de types couteaux ou cutter, on reviendrait vers la piste criminelle. Si on avait des déchirures, ou pas de déchirures directes, mais le vêtement abîmé et des traces de sang du petit garçon, ça voudrait dire que, soit dans une chute, soit dans un choc, avec un véhicule par exemple, il a été blessé. C’est pour cela que le procureur, avec toute la prudence nécessaire dans cette affaire, garde les trois possibilités en tête.

Est-ce que ces vêtements peuvent encore contenir de l’ADN étranger identifiable ?

Ça, je ne sais pas. Parfois, il peut y avoir des surprises. Sur un vêtement lavé en machine plusieurs fois, on peut arriver, s’il y a une gouttelette de sang qui a imprégné, à faire ressortir de l’ADN, donc pourquoi pas. Mais on est dans une probabilité indicielle faible.

Quels éléments techniques pourraient nous apporter une certitude ?

Ce serait de trouver suffisamment d’éléments indiciels qui montrent, par exemple, que le garçon est tombé dans le ruisseau. Mais si l’on ne retrouve rien de plus, sans blessure, sans rien d’autre, cela va continuer à accréditer la thèse de l’accident. Même si ça n’empêchera pas X ou Y de dire : « Ah mais non, il y a peut-être quelque chose derrière ». Un peu comme on a avec des gens au village qui disent : « Non, non, ce n’est pas possible, ce ne peut être que l’intervention d’un tiers. » Il faut prendre un peu de recul. Ce n’est pas parce qu’on a fouillé du mieux que l’on pouvait qu’on n’est pas passé à côté de l’enfant qui serait tombé dans un ruisseau.

Combien de temps peut durer encore cette enquête ?

C’est toute la difficulté. Combien de temps vont-ils prendre pour le sondage du ruisseau et des abords ? S’ils trouvent des éléments, comment, au laboratoire, la partie génétique, la partie médico-légale et anthropométrique vont-elles pouvoir travailler ? Je pense qu’il y en a encore au moins pour quelques semaines.

Y aura-t-il une certitude un jour ?

Ça dépendra de ce que l’on trouvera.

En l’état ce n’est pas possible ?

Non, ce n’est pas possible. Il y a des orientations, mais elles ne sont pas suffisantes.

Et l’hypothèse d’un crime parfait ?

Un crime n’est parfait qu’à partir du moment où l’on ne sait pas que c’est un crime. Un crime non élucidé, c’est autre chose. Là, il faudrait voir ce que les enquêteurs ont comme éléments.

Après presque un an d’enquête, s’il y avait eu des soupçons forts sur un ou des individus, auraient-ils déjà émergé ?

En tout cas, il y aurait déjà eu suffisamment d’éléments pour orienter les enquêteurs. Là, en gros, on recommence à zéro. Mais cela n’élimine pas tous les travaux qui ont été faits sur l’environnement, les suspicions et les éléments à charge ou à décharge qu’ils avaient pu trouver. Donc l’enquête est déjà nourrie de ce qu’ils ont fait.

C’est une histoire qui passionne, avec tout le recul de votre carrière, comment expliquez-vous que celle-ci marque particulièrement ?

Parce que c’est un petit garçon. Parce qu’il est tout mignon. Qu’on a tous eu des enfants, des frères ou des petits-cousins. Parce qu’on peut tous s’identifier aux parents, de près ou de loin. Et après ça, derrière, c’est tout ce qu’il peut y avoir d’interrogations sur une famille, qui n’est pas une famille lambda, ou qui ne serait comme les autres et qui laisse un halo de mystère en plus. On est vraiment dans du psychologique sensationnelle de base, pas autre chose.