Alertes à la bombe : Les évacuations sont-elles systématiques ?
TERRORISME•Musées, aéroports, établissements scolaires… Depuis la rentrée scolaire, et plus encore depuis l’attentat d’Arras, les alertes à la bombe se multiplient. Comment sont-elles gérées ?Caroline Politi
L'essentiel
- Les fausses alertes à la bombe se multiplient depuis le mois de septembre, et particulièrement depuis l’attentat d’Arras. Dans les établissements scolaires, les aéroports, les musées…
- Les évacuations sont systématiquement effectuées, au nom du principe de précaution.
- Les personnes ayant lancé de fausses alertes encourent des peines de prison fermes et peuvent être condamnées à payer des dommages et intérêts.
La série noire continue. Ce jeudi, les aéroports de Nantes, Lille, Montpellier ou encore Bordeaux ont dû être évacués après des menaces d’attentats reçus par mail ou par téléphone. A chaque fois, c’est le même scénario : des équipes cynophiles et de déminage sont mobilisées pour opérer « une levée de doute ». Pendant ce temps, le trafic est interrompu et les retards s’accumulent. La situation est d’autant plus compliquée que certains de ces aéroports avaient déjà fait l’objet, la veille, d’une évacuation. Et ils ne sont pas les seuls à subir ces canulars. Le château de Versailles a évacué 4.000 touristes pour la quatrième fois en cinq jours. La veille, la même décision avait été prise après la découverte, sur la plateforme « Mon commissariat », d’un message indiquant : « Le château va exploser, vous allez tous mourir ».
Musées, gares, établissements scolaires… Depuis le mois de septembre, les fausses alertes se multiplient. Lundi, le ministre de l’Éducation affirmait que 168 fausses alertes avaient été recensées dans les écoles depuis septembre. Le chiffre est déjà obsolète. Rien qu’à Toulouse, six lycées ont été évacués ce jeudi matin. Dans le Finistère, ce sont 33 établissements qui ont été visés pour la seule journée de mercredi. A Paris et dans la petite couronne, les alertes à la bombe ont augmenté de 25 % depuis septembre. « Il y a un effet de mimétisme. Malheureusement, on sait que plus il y en, plus les médias en parlent et plus on en aura. C’est un cercle vicieux », note une source policière.
« Dans 99 % des cas, c’est un petit malin »
Dans la grande majorité des cas, les messages de menaces sont directement adressés aux établissements. « C’est aux directeurs de prendre la décision d’évacuer les lieux, ce qu’ils font quasiment systématiquement, assure Loubna Atta, la porte-parole de la préfecture de police de Paris. Il y a une urgence à prendre une décision, ils ne peuvent pas tergiverser. » D’autant que le niveau « urgence attentat » – le plus haut du plan Vigipirate – a été déclaré quelques heures à peine après l’attentat d’Arras. Les forces de l’ordre sont donc généralement prévenues par les directeurs eux-mêmes. « Compte tenu du contexte, ces alertes sont prises très au sérieux et beaucoup de moyens sont engagés » , poursuit Loubna Atta.
Une fois les établissements évacués, une première prospection visuelle est menée. Les démineurs, les chiens formés et parfois même le Raid peuvent être mobilisés pour procéder à cette levée de doute. Quid des messages farfelus ? « On sait que dans 99 % des cas, c’est un petit malin qui a fait ça. Mais on ne peut pas se permettre d’être dans le 1 % des cas, c’est toute la difficulté. C’est le principe de précaution qui prime », souffle une source policière. Et Loubna Atta d’insister : « On ne peut pas agir sur le simple sentiment qu’il s’agit d’une blague. » Certes, reconnaît la première citée, les attentats sont faits pour surprendre la population et ne sont donc « annoncés ». « Mais on ne peut prendre aucun risque. » D’autant que l’histoire a montré que le terrorisme peut frapper partout : à l’école, dans un supermarché, dans un train, une salle de spectacle…
A chaque fois, une enquête judiciaire est ouverte. En fonction du canal de diffusion de l’alerte, les policiers ou les gendarmes cherchent les auteurs via leur numéro de téléphone, leur mail ou une adresse IP. Selon l’âge de l’auteur et le niveau de sophistication, l’enquête peut être assez technique et prend parfois plusieurs mois. Selon le ministère de la Justice, en 2022, 1.682 personnes – dont plus de 57 % d’individus âgés de 18 à 34 ans – ont été condamnées pour avoir divulgué de fausses informations. « Mais ce ne sont pas des statistiques précises, insiste-t-on. Cela va des alertes à la bombe à la personne qui accuse son voisin pour lui faire du tort. »
Jusqu’à trois ans de prison
Et les auteurs risquent gros. « Le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information dans le but de faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende », précise l’article 322-14 du Code pénal. La peine est même portée à trois ans et 45.000 euros d’amende lorsqu’on est acteur de cette menace. En clair : si on dit qu’un tiers a posé une bombe ou si on menace soit même de le faire, la peine encourue est différente.
Et si les menaces sont imaginaires, les condamnations n’ont rien de symboliques. Ainsi, le 1er septembre, un homme a été condamné à seize mois de prison, dont huit ferme, et sa compagne à douze mois avec sursis, pour avoir fait croire qu’une bombe était cachée dans un TGV Lille-Paris. Le Raid avait dû intervenir, le train avait été immobilisé plusieurs heures. Leur objectif en lançant une telle rumeur ? Ralentir le départ du train qu’ils craignaient de rater. A Rouen, le 13 octobre, c’est un tout jeune majeur qui a été condamné : 18 mois de prison avec sursis pour 24 évacuations dans 16 établissements depuis le début de l’année. Ces 24 évacuations avaient nécessité l’intervention de 161 policiers.
« Il peut également y avoir des demandes de dommages et intérêts, précise-t-on au ministère de la Justice. Elles peuvent émaner des sociétés qui ont subi le préjudice, ou même d’une personne traumatisée par l’alerte. » Qu’ont ressenti, par exemple, les élèves du lycée Gambetta – dans lequel Dominique Bernard a été assassiné – obligés d’évacuer trois jours après l’attentat ? On peut aisément imaginer que cette nouvelle alerte ait provoqué chez certains une anxiété particulière. « Il faut prouver le retentissement de cette alerte. Cela peut passer par des certificats médicaux, par exemple », précise-t-on place Vendôme.