#20MinuitMinuit est-elle vraiment l’heure du crime ?

Minuit est-elle vraiment l’heure du crime ?

#20MinuitL’image du criminel agissant la nuit, lorsque la ville dort, correspond-elle à une certaine réalité ?
Les crimes et délits sont-ils plus souvent commis la nuit ?
Les crimes et délits sont-ils plus souvent commis la nuit ? - S.Salom-Gomis/
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Pour la plus courte nuit de l’année, 20 Minutes est passé en mode #20Minuit et est allé à la rencontre de ceux qui vivent, travaillent, dansent ou transpirent la nuit. #20Minuit, c’est une série d’articles, de vidéos, podcast ou quiz à lire, regarder ou écouter de jour comme de nuit.
  • Dans l’imaginaire collectif, l’essentiel des crimes et des délits est commis la nuit, lorsque tout le monde dort.
  • Si on s’intéresse à la totalité des faits enregistrés en 2022, on note que c’est entre 16 heures et 18 heures que le nombre de faits commis est le plus important.
  • Il existe cependant des spécificités temporelles pour différents crimes et délits.

Quel est le point commun entre Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur, Mister Hyde, le double maléfique du Docteur Jekyll et Danny Ocean, le truculent chef de bande du blockbuster Ocean Eleven ? Ce sont des malfrats. Oui, mais encore ? Tous les trois agissent la nuit, profitant de l’obscurité et de la ville endormie pour commettre leurs méfaits. Minuit, est-elle, comme dans l’imaginaire collectif, réellement l’heure du crime ? La délinquance prospère-t-elle la nuit ?

Claude Cancès a beau être à la retraite depuis maintenant une quinzaine d’années, ses souvenirs de ses trente-cinq années passées dans les rangs de la police judiciaire parisienne, notamment à la tête du mythique 36, quai des Orfèvres – le siège de la brigade criminelle – sont intacts. « C’est vrai qu’à l’époque, on était souvent saisis le soir ou la nuit. ». Pour autant, insiste le commissaire, la découverte d’un cadavre à une heure tardive n’est pas forcément synonyme d’un crime commis à ce moment-là. « Quand quelqu’un ne donne pas signe de vie de la journée ou ne rentre pas chez lui, ses proches commencent à s’inquiéter, à la chercher. Cela peut expliquer qu’il y ait plus de signalements à ce moment-là », souligne-t-il.

Peu d’études sur le sujet

Le problème, c’est qu’en la matière, les chiffres manquent cruellement. Aucune étude récente menée en France ne porte sur la délinquance de nuit. Il y a bien quelques ouvrages anglo-saxons, mais la plupart sont datés et comparer ce qu’il se passe à San Francisco ou Los Angeles dans les années 2000 et en France à l’heure actuelle est un exercice bien trop périlleux pour notre petite personne. « On a plus tendance à s’intéresser au découpage géographique, notamment pour adapter les effectifs et la réponse mise en œuvre, qu’aux heures de commission des faits », explique une source policière.

Tentons cependant d’y voir plus clair. Si on se penche sur la totalité des faits recensés par la police nationale en 2022 – atteintes aux personnes ou aux biens, crimes ou délits – on constate que plus de 35 % d’entre eux ont été commis entre 14 heures et 20 heures. A titre de comparaison, on enregistre presque le même nombre de faits sur la tranche 22 heures-4 heures du matin que sur celle 8 heures-14 heures (environ 25 %). Plus parlant encore, entre 16 heures et 18 heures, la police a recensé au cours de l’année près de 30.000 faits contre 18.700 entre minuit et 2 heures. Mais comment alors expliquer ce sentiment d’insécurité, largement plus prégnant la nuit, notamment chez les femmes ?

70 % des viols la nuit

S’il n’existe aucune étude générale sur la criminalité de nuit, certains travaux de recherche, notamment conduit par l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) – aujourd’hui dissous – mettent en lumière des spécificités temporelles de différents crimes et délits. Par exemple, 80 % des cambriolages ont lieu en pleine journée : un sur deux entre 14 heures et 17 heures et un sur quatre entre 8 heures et 10h30. Logique, il y a plus de chance de trouver un appartement ou une maison vide à ces heures-là, lorsque les propriétaires sont au travail, qu’à 22 heures. A l’inverse, les vols ou tentatives de vols de voiture ont lieu dans les trois quarts des cas la nuit. Encore une fois rien d’étonnant, les malfaiteurs savent que le véhicule ne devrait pas bouger pendant plusieurs heures et l’activité dans les rues est moins intense.

Reste une question : les faits les plus graves sont-ils commis la nuit ? Sans étude générale sur le sujet, difficile d’y répondre précisément. Sur la question des viols, cependant, une enquête de l’ONDRP établit clairement un lien entre la nuit et le passage à l’acte. Des chercheurs se sont intéressés à 688 viols commis à Paris entre 2013 et 2014 : 70 % d’entre eux se sont déroulés à une heure très tardive. Si l’image du rôdeur à l’affût dans les rues est galvaudée – la très grande majorité des viols sont commis par une personne connue de la victime – la consommation d’alcool, plutôt associée à la soirée, semble être une piste d’explication. 58 % des viols commis le week-end le sont à l’encontre d’une personne « intoxiquée », selon les termes de cette étude, c’est-à-dire sous l’emprise de l’alcool et plus rarement de stupéfiants.

Le rôle de l’alcool

Cette piste pourrait également expliquer, du moins en partie, que les coups et blessures volontaires, qu’ils soient criminels ou délictuels, surviennent généralement entre 18 heures et 3 heures du matin. Un pic est enregistré dans la nuit du samedi à dimanche. Par ailleurs, s’il n’existe aucune étude temporelle sur la commission des homicides, on sait aujourd’hui qu’un féminicide sur trois est commis par un auteur ayant consommé de l’alcool.

Notre dossier #20Minuit

Pour autant, la violence n’est pas l’apanage de la nuit. La dernière enquête Cadre de vie et sécurité, publiée en 2021, soulignait que 62 % des violences physiques déclarées se sont déroulées en pleine journée. C’est notamment le cas d’un des délits les plus fréquents : les vols avec violence. C’est entre 17 heures et 20 heures* qu’on enregistre les plus hautes fréquences. Les violences verbales, comme les menaces ou les injures, sont également dans l’immense majorité des cas formulés en pleine journée.

* Etude de l’ONDRP menée en 2019