CA CRAINT ?L’augmentation des chiffres de la délinquance est-elle si alarmante ?

Délinquance : L’augmentation des chiffres est si alarmante que cela ?

CA CRAINT ?Selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, tous les indicateurs de la délinquance – homicides, coups et blessures, violences sexuelles – ont fortement progressé en 2022
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le service statistique du ministère de l’Intérieur a publié ce mardi une série de données mettant en lumière une forte hausse de la délinquance en France : les coups et blessures ont augmenté de 15 %, les violences sexuelles de 11 %, les homicides de 8 %…
  • Une partie de cette hausse, notamment concernant les cambriolages ou la délinquance commis sur la voie publique, s’explique par un phénomène de rattrapage post-pandémie.
  • Certaines hausses, notamment sur les violences sexuelles ou conjugales, sont liées à une libération de la parole.

La note, publiée ce mardi matin par le service statistique du ministère de l’Intérieur, est sans appel. « En France, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance enregistrée sont en hausse en 2022 », peut-on lire dès la première phrase.

Les coups et blessures volontaires ont bondi de 15 % en un an. Les violences intrafamiliales de 17 %. Les violences sexuelles de 11 %. Quant aux homicides, on en a enregistré, en 2022, 69 de plus que l’an dernier, soit 948. On pourrait aussi citer les cambriolages, les vols de voiture ou les escroqueries. Que retenir de cette litanie de chiffres ? Doit-on en déduire que la société est devenue plus dangereuse qu’auparavant ?

Rattrapage post-Covid

« On observe, sur une série d’indicateurs, un rattrapage post-crise sanitaire », analyse le sociologue Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip, le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Les années 2020-2021, marquées par les différents confinements, le couvre-feu, le télétravail quasi généralisé et la chute de la fréquentation touristique, ont rendu quasiment impossible – ou tout du moins beaucoup plus difficile – la commission de certaines infractions. Lorsque la population est enfermée chez elle, les cambrioleurs ont plus de mal à commettre leurs méfaits. Quand les rues et les transports en commun sont pour ainsi dire vides, les vols à la tire sont plus occasionnels. Ainsi, si la hausse de la délinquance dite de voie publique a été marquée en 2022, elle reste néanmoins inférieure à celle de 2019. Comparés à cette année-là, les vols « simple » ont baissé de 7,3 %, ceux avec violence de 24 %, et les cambriolages de 8,6 %.

Quid alors de l’augmentation des homicides ? Est-elle également le fruit d’un rattrapage ? A première vue non, puisqu'entre 2019 et 2022, ils ont augmenté de 7 %. Mais les derniers chiffres sont à prendre avec précaution. L’enquête précise, en effet, qu’ils n’ont pas été « stabilisés ». En clair : certaines données ont pu faire l’objet d’un double comptage. « Ce qui est sûr, en revanche, c’est que depuis les années 1980, le nombre d’homicides en France a été divisé par trois », précise Mathieu Zagrodzki. Parmi les causes citées : la baisse des vols à main armée, la quasi-disparition des assassinats politiques et les améliorations de la médecine, qui permettent aujourd’hui de sauver des vies qui ne l’auraient pas été il y a trente ans.

Des indicateurs en hausse liée à une meilleure prise en compte ?

Si chaque année, la publication de ces données est l’occasion d’interminables palabres sur la dangerosité de notre société, l’augmentation de certaines statistiques est, dans certains cas, le signe d’une meilleure appréhension du phénomène. Ainsi, depuis 2017 et le mouvement #MeToo, qui a encouragé la libération de la parole des femmes, le nombre de plaintes en matière de violences sexuelles a fortement augmenté. De même, la sensibilisation autour des violences conjugales peut expliquer, du moins partiellement, la hausse des « coups et blessures » qui les englobent ou l’augmentation des « violences intrafamiliales ». Dans l’entourage de Gérald Darmanin, on se félicite d’ailleurs de ces chiffres et on met en avant une « meilleure prise en charge des victimes ». Reste qu’en la matière, les chiffres sont très largement en-deça de la réalité. On estime, par exemple, que seule une victime de viol sur cinq porte plainte.

Les escroqueries, une augmentation constante depuis plusieurs années

Certaines augmentations sont également le fruit d’un choix politique. C’est, par exemple, le cas sur la question des stupéfiants. Le nombre de mis en cause pour usage de stupéfiants a augmenté de 13 % en un an. L’an dernier déjà, il avait bondi de 38 %. La hausse est moins marquée pour les mis en cause pour trafic de stupéfiants mais est réelle : + 4 % en 2022. Une augmentation presque mathématique puisque, en un an, le nombre d’opérations visant à démanteler les points de deal a augmenté de 159 %, indique-t-on au ministère de l’Intérieur.

Au milieu de cette avalanche de chiffres, certaines hausses, constantes et marquées, semblent toutefois souligner des tendances délinquantielles. C’est notamment le cas des escroqueries. + 8 % entre 2021 et 2022, et une hausse de quasiment 30 % depuis 2019. « C’est notamment porté par toutes les escroqueries sur Internet, plus faciles, lucratives et moins dangereuses que les cambriolages », note le sociologue Mathieu Zagrodzki. Qui n’a jamais reçu dans sa boite mail une arnaque au compte à la formation ou un message réclamant quelques euros pour faire passer un colis censé être bloqué à la douane ? « Aujourd’hui, ces escrocs jouent plutôt la masse, analyse le chercheur. Voler 3 ou 4 euros chez cent fois plus de personnes que de dépouiller le compte de quelqu’un. » Conséquence : une partie de ces escroqueries passent probablement sous les radars… et les chiffres, bien qu'en hausse, sont probablement largement en-deça de la réalité.