Marseille : « Ça va mal finir de toute façon… » Retour sur une enquête déjouant un règlement de compte
ProcEs•Braquage, tentative de meurtre, convoi structuré… Les enquêteurs ont suivi une équipe de malfaiteurs durant de longs mois avant d’interrompre leurs projets. Six prévenus, cinq hommes et une femme, âgés de 33 à 26 ans comparaissent lundiAlexandre Vella
L'essentiel
- Six prévenus, cinq hommes et une femme, âgés de 33 à 26 ans comparaissent à partir de ce lundi à Marseille dans une affaire de trafic de stupéfiants et une tentative de meurtre.
- Leurs projets, longtemps surveillés par la police, ont été déjoués par les enquêteurs qui les ont interpellés après une première tentative ratée.
- Ils ambitionnaient, notamment, d’asseoir leur autorité sur un « charbon » du 13e arrondissement.
«Ça va mal finir de toute façon… ». Il est minuit passé de quelques minutes et, planqué pour « voir le spectacle », Anthony Torino ne croyait pas parler pour lui. Minuit, c’est l’heure de fermeture traditionnelle des « charbons », ces points de vente de stupéfiants qui avalent les enfants des quartiers déshérités de Marseille et qui ouvrent d’ordinaire en fin de matinée. Ce soir de confinement du 26 avril 2020, Anthony Torino et son collègue François Mussa se croient aux premières loges pour assister à un règlement de comptes concernant la reprise du charbon du Petit-Séminaire (13e arrondissement).
Des conversations issues de la sonorisation de leur véhicule, un Nissan Qashqai, les enquêteurs, qui suivent activement la bande organisée depuis plus de six mois déjà, comprennent que celui-ci a avorté ce soir-là. Les deux hommes sont soupçonnés d’avoir comme mission de relayer aux tueurs le « Go » qui consiste à confirmer que la cible soit bien présente. Mais celui-ci n’est pas venu, et Rida Ouarti, qui se tenait ce soir-là, toujours selon le rapport d’enquête, prêt à l’arrière d’une moto avec sa kalachnikov n’a pas ouvert le feu.
La cible, il s’agirait de Foued Hassaine, dit « Foufou », qui, selon des déclarations en garde à vue de Jeanne Camaccio-Arenas, soupçonnée d’avoir été une autre donneuse de « Go », gérait la partie « shit et herbe », du plan stup du Petit-Séminaire. La cocaïne étant l’affaire des frères Ouarti. Mais ceux-là ont été dépossédés de cette activité quelques semaines avant les faits relatés par un certain « Réda » de Frais-Vallon, identifié par les enquêteurs comme Réda Khaldi au nom duquel un avis de décès en date du 29 décembre 2020 à Marseille, à l’âge de 22 ans circule (sans certitude qu’il s’agisse de la même personne). Et il semblerait que l’équipe des Ouarti, à laquelle appartenait Mussa et Torino, souhaitait « faire la guerre » pour récupérer l’ensemble du « charbon ».
« J’ai les armes, je l’éclate et je récupère le charbon »
Une affaire, comportant bien d’autres ramifications, qui sera jugée à compter de ce lundi par le tribunal correctionnel de Marseille devant lequel comparaîtront cinq hommes et une femme, âgés de 33 à 26 ans. Mis en examen à divers degrés pour plusieurs crimes et délits de « tentative de meurtre avec préméditation en bande organisée » pour quatre d’entre eux à « vol avec armes » ou « acquisition, détention, transport, offre ou cession de produits stupéfiants », les prévenus ont vu leur épopée criminelle être interrompue le 26 mai 2020, jour où les policiers décidaient de les interpeller. Quatre d’entre eux sont en détention depuis la fin de leur garde à vue, tandis que deux comparaîtront libres.
Car si ce soir d’avril leur projet meurtrier ne s’est pas concrétisé, la suite de l’enquête démontre qu’ils n’y avaient pas renoncé et s’y préparaient depuis un temps. Dès le 11 avril Anthony Torino, dit « P4 », confie à Belkir Mehayaoui, alias « Kiwi » : « Il fait 8.000 [euros] par jour le charbon […] Tu fais mon pilote si je l’éclate à lui ? […] Il faut trouver la moto, j’ai les armes, je l’éclate et je récupère le charbon. J’ai des soldats. » Après l’échec du 26 avril, l’équipe s’était mise en quête d’un véhicule volé avec compartiment arrière qui permettrait de se passer de « Go », en opérant une surveillance visuelle directe avec les hommes armés à l’arrière.
Lors de leurs investigations, les enquêteurs ont également pu saisir un peu mieux l’état des forces en présence dans le milieu du narcobanditisme marseillais et voir ressurgir, au détour de certaines écoutes ou sonorisation, l’aura de vieux parrains, depuis le Var, où l’équipe gérait également une activité de vente de stupéfiants, notamment par l’intermédiaire d’Antoine Santiago, dit Schuma, un de leurs « associés ».
Cette enquête, à bien des égards exceptionnelle, montre les ambitions d’un groupe de malfaiteurs particulièrement actif durant cette période. « On présente ce dossier comme emblématique de la criminalité organisée à Marseille », a commenté maître Denis Fayolle, avocat de deux des prévenus (Rida Ouarti et Antoine Santiago) pour qui « il faudra veiller à bien individualiser les cas. Et à différencier les projets envisagés, des projets réalisés et de ceux qui ont été abandonnés, y compris contre la volonté des prévenus », a-t-il poursuivi. L’avocat et ses confrères de la défense auront trois jours, de lundi à mercredi, durant lesquels le procès est prévu pour y parvenir.