Oui, un chercheur a bien été blessé à la tête par un policier au Trocadéro
FAKE OFF•Les photos d'un homme au visage ensanglanté, présenté comme un chercheur blessé par un policier, connaissent une grande visibilité sur les réseaux sociauxAlexis Orsini
L'essentiel
- Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, présentait ses vœux ce mardi au musée de l’Homme, à Paris.
- Des chercheurs étaient mobilisés à l’extérieur du bâtiment pour présenter leurs propres vœux à la ministre. L’un d’entre eux aurait été blessé au visage par un policier à cette occasion, selon des posts viraux partagés sur les réseaux sociaux.
- Les différents témoins interrogés par 20 Minutes, au même titre que le doctorant concerné, Gilles, confirment cet incident, tout en retraçant le déroulé des événements.
«Après les "gilets jaunes", les pompiers, les étudiants, les profs, les avocats, les cheminots, le pouvoir tabasse… les chercheurs ! »
Dans un post Facebook devenu viral depuis sa mise en ligne, ce mardi soir, la page « Cerveaux non disponibles » s’indigne du traitement qui aurait été réservé à l’un des manifestants venus participer à « un rassemblement très important [devant le musée de l’Homme, à Paris] pour perturber les vœux de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ».
Loin de rester limité à cette page Facebook, ce coup de gueule a été repris par de nombreux internautes, au même titre que les photos montrant le chercheur « matraqué », le visage ensanglanté. Dans une vidéo également partagée à de nombreuses reprises, le jeune homme, visiblement blessé, s’adresse à ses collègues avec un haut-parleur, affirmant notamment être là pour s’assurer que l’université ne serve pas « à définir des premiers de cordée » ou encore en lançant le chant « tout le monde veut la retraite des flics ! »
FAKE OFF
Un rassemblement était bien prévu, ce mardi à 19 heures, place du Trocadéro (16e arrondissement de Paris), devant le musée de l’Homme où Frédérique Vidal présentait ses vœux à la communauté de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
« A cette occasion, nous étions plusieurs chercheurs à vouloir participer et à lui communiquer nos propres vœux, qui ne sont pas vraiment les mêmes, au vu de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche et de la réforme des retraites qui nous attend. L’accès au musée était fermé, très peu de chercheurs étaient invités : ceux qui ont tenté d’intervenir à l’intérieur ont été expulsés par le service d’ordre », nous explique un membre du collectif Facs et labos en lutte.
« A mon arrivée, à 18h45, les forces de l’ordre étaient déjà présentes et il y avait seulement une trentaine de manifestants », explique Jonathan Moadab, journaliste pigiste. « Au début, c’était tranquille, et puis les rangs de manifestants ont commencé à grossir jusqu’à environ 150 ou 200 personnes. C’est là que les policiers ont commencé à les repousser dans le calme », poursuit celui qui a notamment filmé et tweeté ce premier face-à-face.
« On nous avait laissé entendre qu’il n’y aurait pas de policiers »
« Ensuite, un petit groupe de manifestants portant des masques de la ministre [Frédérique Vidal] est arrivé. Ils ont marché d’un pas déterminé vers les policiers et se sont mis devant eux sans forcément chercher à passer le cordon de sécurité », poursuit Jonathan Moadab.
Gilles Martinet, le doctorant à l’IHEAL (l’Institut des hautes études de l’Amérique latine) dont le visage est devenu viral depuis sa blessure, nous confirme ce déroulé des événements : « On a mis les masques à 10 mètres du rassemblement. Ils servaient autant à former un groupe et à s’assurer qu’il n’y ait pas de personnalisation de la mobilisation autour d’une personne, puisque c’est un combat collectif, qu’à permettre à certaines personnes en situation de précarité dans le milieu enseignant de pouvoir manifester sans problème, car c’est très compliqué pour elles. »
« On voulait demander aux policiers de nous laisser entrer dans le musée, puisque le cabinet de la ministre nous avait laissé entendre indirectement qu’il n’y aurait qu’un filtrage et pas de policiers, ce qui n’était clairement pas le cas, comme on l’a vu dès l’arrivée en découvrant les fourgons de CRS », poursuit le doctorant.
« Je n’ai pas vu s’il avait un objet à la main »
Ce n’est qu’une fois à proximité du cordon policier que la situation a basculé pour Gilles Martinet : « Je me suis retrouvé en première ligne du cortège, ce qui arrive souvent quand on a le mégaphone, et poussé vers le cordon de policiers. Ils nous retenaient sans difficulté apparente, mais l’un d’eux m’a arraché mon masque. Ensuite, un policier plus petit, qui se trouvait derrière le cordon m’a sauté dessus pour me frapper au visage. Je n’ai pas vu s’il avait un objet à la main, donc j’ai pensé que c’était son gant coqué, mais certains collègues disent avoir vu une gazeuse. »
« J’étais trois mètres derrière Gilles, je n’ai pas vu le coup partir mais, a priori, il s’agissait d’un coup porté avec son gant coqué », nous indique pour sa part le membre du collectif Facs et labos en lutte. Une version confirmée par Jonathan Moadab : « Gilles était en tête de cortège quand un policier placé derrière le cordon de sécurité lui a sauté dessus pour lui mettre un coup de poing ». Contactée par 20 Minutes, la Préfecture de police n’avait pas répondu à nos sollicitations avant la parution de l’article.
Si la tension a persisté un petit moment après ce coup, aucun autre incident n’a été déploré ensuite, Gilles Martinet ayant notamment repris son mégaphone pour motiver ses collègues, malgré leur inquiétude pour sa blessure. Pris en charge par les pompiers et emmené à l’hôpital, il s’est finalement vu diagnostiquer des plaies multiples sur le visage, qui lui ont valu des points de suture et une incapacité temporaire partielle de travail de 8 jours.
« Mes blessures sont sans gravité et j’ai pu bénéficier d’une grande médiatisation comme du soutien de mon laboratoire de recherche et de mon université, parce que j’ai la chance d’avoir un capital social qui m’y donne accès. Ce n’est pas le cas de la majorité des victimes de violences policières, qui subissent des blessures bien plus graves, et c’est le reflet des inégalités qui structurent notre société », conclut le doctorant.