INTERVIEWDerrière Bayonne, le problème de la « radicalisation du populisme »

Attaque à la mosquée de Bayonne : « Le problème, c’est la radicalisation du populisme »

INTERVIEWDepuis plusieurs mois, les actes violents commis par des militants ou des groupuscules d’extrême-droite sont en augmentation, observe l’historien Nicolas Lebourg
Thibaut Chevillard

Propos recueillis par Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • La mosquée de Bayonne a été prise pour cible lundi soir par un homme de 84 ans, ancien candidat du FN aux élections départementales dans les Landes.
  • Depuis plusieurs mois, les actes commis par des militants ou des groupuscules de l’ultra-droite sont en augmentation.
  • L’historien Nicolas Lebourg observe que les auteurs de ces faits ont de plus en plus le profil de « Monsieur Tout-le-monde », et de moins en moins celui de néonazis.

Il a 84 ans, a été candidat du Front National aux élections départementales en 2015. Devant les policiers, Claude S. a reconnu s’être attaqué lundi soir à la mosquée de Bayonne, avoir tenté d’incendier la porte avant de tirer sur deux fidèles de 74 et 78 ans. Selon le procureur de la République, Marc Mariée, l’octogénaire a voulu « venger la destruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en affirmant que l’incendie de cet édifice a été provoqué par des membres de la communauté musulmane ».

Depuis plusieurs mois, les actes violents commis par des militants ou des groupuscules d’ultra-droite sont en augmentation. Pour en savoir davantage, 20 Minutes a interrogé l’historien Nicolas Lebourg, chercheur au Cepel (Centre d’Études Politiques de l’Europe Latine) à Montpellier, membre du comité de pilotage du programme violence et radicalité militante de l’Agence nationale de la recherche.

Un attentat en Allemagne visant une synagogue au début du mois d’octobre, un ex-candidat du Front National qui s’est attaqué ce lundi à la mosquée de Bayonne… Est-ce qu’une forme de terrorisme d’extrême droite est en train d’émerger en Europe ?

Oui, d’ailleurs, dans ses rapports, Europol le relève depuis au moins deux ans. Il y a une montée, un peu partout en Europe, en Grèce, en Allemagne, dans les pays nordiques, des actes violents d’extrême droite. Deux cibles sont particulièrement visées : les réfugiés et les militants de gauche, qui sont perçus comme étant les responsables de l’immigration.

Comment expliquer l’émergence du terrorisme d’extrême droite ? Est-ce une conséquence de la banalisation des discours anti-musulman ? Ou une réaction aux attentats islamistes ?

Un peu les deux. Lorsque l'extrême droite est représentée aux élections, qu’il y a des militants, des élus qui vont dans les médias, cela stabilise un peu le milieu, permet de contenir la radicalisation, de l’adoucir, de la diluer dans le reste de la société. Les militants radicaux un peu malins peuvent comprendre qu’il y a mieux à faire que de passer son temps en garde à vue, qu’il est plus sympa d’avoir une vie militante. Tout ça enlève de la violence à l’extrême droite.

Le problème, c’est la radicalisation du populisme. En 1979, les néonazis avaient perpétré une cinquantaine d’attentats à l’explosif en France. A l’époque, ils s’attaquaient aux commerces tenus par des juifs. Evidemment, personne dans la société française ne les défendait. Aujourd’hui, le contexte est différent, car il y a une capacité d’admission de la violence contre les musulmans, vue comme une forme de représailles, qui est bien plus élevée. On le voit dans le profil des auteurs : le fait que le suspect de l'attaque de Bayonne a 84 ans, que c’est un ancien candidat d’un parti légaliste, c’est ça qui pose problème.

Si le suspect avait été un néonazi, cela aurait signifié que la tentation de la radicalisation violente est confinée à des marges sociales qui n’ont pas de capacité d’imprégnation dans la société. Le problème, c’est quand le profil des auteurs correspond à celui de Monsieur Tout-le-monde, à des gens qui sont issus de courants modérés au sein de l’extrême droite. Cela veut dire que les partis légalistes ne suffisent plus. C’est ce qu’on observe aussi à travers les groupes qui passent à l’action depuis quelques années. Ils pensent que même une victoire électorale de « leur camp » ne servirait à rien, qu’il n’y a que la violence pour enclencher une remigration.

Est-ce que ce phénomène est comparable avec le terrorisme islamiste ?

Il y a des groupes, des nébuleuses, qui sont plus ou moins structurés. Mais il n’y a pas, aujourd’hui, de réseaux comparables à ceux mis en place par les djihadistes. D’ailleurs, les auteurs d’attentats d’extrême droite les plus connus – Anders Behring Breivik en Norvège, ou Brenton Tarrant à Christchurch, en Nouvelle-Zélande – sont des individus qui se sont auto-organisés et qui n’avaient pas derrière eux toute une infrastructure.

D’autre part, le nombre d’auteurs n’est pas comparable, il suffit d’observer le nombre de personnes incarcérées pour ces faits. En 2018, sur 611 personnes détenues pour terrorisme, 28 appartenaient à l’extrême droite, notait un rapport de la commission d’enquête du sénat sur la menace terroriste.

Il y a aussi la question du financement de ces groupuscules d’extrême droite…

Quand on parle de terrorisme, la question du financement est essentielle. Elle interroge sur la pénétration de ces groupes dans la société. Lors de la guerre d’Algérie, il y a eu des actes de terrorisme perpétrés de chaque côté, mais il y avait des réseaux très importants de financement. Le FLN (Front de libération nationale) avait des dizaines de milliers de cotisants. Quant à l’OAS (Organisation de l’armée secrète), elle a profité de réseaux internationaux, structurés. En 1961, il y a eu plus de 400 attentats d’extrême droite en France. Aujourd’hui, la situation n’est pas la même, car il n’y a pas de pénétration des réseaux terroristes dans la société française.

Ces groupuscules violents sont-ils assez surveillés par les services de renseignement ?

Les services spécialisés ont compris la situation depuis quelques années, je ne crois pas qu’il y ait de grosse naïveté sur ce phénomène de leur côté. Les groupes font l’objet d’une surveillance par les forces de sécurité, qui font plutôt bien leur travail : il y a eu beaucoup de suspects interpellés avant de passer à l’acte. C’est plutôt la classe politique qui fait preuve de naïveté. Une partie d’entre elle rechigne à utiliser les termes « terrorisme d’extrême droite ».