CYBERCRIMINALITÉComment les enquêteurs traitent-ils les contenus illicites sur Internet?

Contenus illicites sur Internet: Comment travaillent les enquêteurs de la plateforme Pharos?

CYBERCRIMINALITÉUne plateforme dépendant de la direction centrale de la police judiciaire permet de signaler en ligne les contenus et comportements illicites de l’Internet…
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Pharos est une plateforme permettant au grand public de signaler des agissements délictueux repérés sur le Web.
  • 25 policiers et gendarmes traitent les signalements qui leur parviennent.
  • En 2017, ils en ont reçu 153.000.

Le 8 octobre dernier, la rédaction de 20 Minutes recevait un mail troublant. Anne*, son auteur, menaçait de se suicider à cause du harcèlement dont elle disait être victime sur Internet. Sur les conseils de nos contacts policiers, nous avons signalé son témoignage sur la plateforme Pharos, mise en place par le ministère de l’intérieur en 2009. Quelques minutes plus tard, un agent de la DCPJ (direction centrale de la police judiciaire) nous appelait. Il voulait des précisions avant de partir à sa recherche. En fin de journée, Anne nous donnait des nouvelles. « Les gendarmes sont efficaces. Ils sont ici. Ils vont me mettre sous protection. » Mission réussie.

Chaque jour, les enquêteurs de Pharos reçoivent entre un et trois signalements de personnes ayant exprimé, sur Internet, leur volonté de mettre fin à leurs jours. Ce n’est pourtant pas ce qui les occupe le plus. En 2017, près de la moitié des 153.000 signalements reçus concernaient des escroqueries, explique à 20 Minutes le commissaire divisionnaire François-Xavier Masson, chef de l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication). Les autres concernent les atteintes aux mineurs (13 %), les discriminations (8,5 %) et le terrorisme (4 %).

25 enquêteurs

Deux conditions doivent être réunies : les contenus signalés doivent être publics, c’est-à-dire accessibles à tous les internautes, et manifestement illicites. 25 policiers et gendarmes, installés dans un open space au cinquième étage d’un immeuble moderne de Nanterre, les traitent de 9h à 19h30, sous l’autorité d’un chef de plateforme. « Ce sont tous des enquêteurs. Ils sont intéressés et attirés par les nouvelles technologies. Ils doivent être motivés, à l’aise avec les outils numériques, maîtriser l’usage des réseaux sociaux », poursuit François-Xavier Masson, soulignant qu’un signalement « n’est pas une plainte ». « Pour une urgence vitale, ou tout fait nécessitant une intervention rapide de la police, il faut faire le 17 », insiste-t-il également.

Les signalements les plus sensibles sont traités en priorité. « Ça peut aller très vite, le processus mis en place est très bien rodé », assure le patron de l’OCLCTIC. Les enquêteurs vont d’abord les recouper avant de procéder aux constatations, comme sur une scène de crime classique. Pour cela, ils vont effectuer des captures d’écrans, recueillir tout un tas d’indices numériques, identifier la personne à l’origine du contenu signalé en contactant les fournisseurs d’accès à Internet. Ils vont ensuite qualifier les faits et prendre attache avec le parquet de Nanterre duquel ils dépendent. Enfin, ils transmettent le dossier à un service de police ou de gendarmerie territorialement compétent qui poursuivra les investigations..

Bloquage des contenus illicites

Parfois, les enquêteurs de Pharos sont cosaisis avec un autre service. En septembre dernier, au moins deux vidéos montrant le viol d’une jeune femme par quatre hommes ont circulé sur les réseaux sociaux. La victime avait déposé plainte dès le lendemain des faits et l’enquête confiée aux gendarmes de la brigade de recherche de Toulouse-Saint-Michel. « Notre mission a consisté à capturer tous les éléments de preuves et les mettre à disposition des enquêteurs. Plus généralement, sur ce genre d’affaire, on nous demande de croiser les éléments présents sur les réseaux sociaux afin de contribuer à l’identification des auteurs ou des personnes qui ont diffusé les images », souligne François-Xavier Masson. Plusieurs hommes, originaires de quartiers sensibles de Toulouse étaient confondus et interpellés, quelques semaines plus tard.

Dans cette affaire, les policiers et gendarmes de Pharos étaient parvenus à bloquer les vidéos en demandant leur retrait aux sites sur lesquels elles étaient diffusées. Mais les hébergeurs, quelques fois situés à l’étranger, ne retirent pas toujours systématiquement les contenus considérés comme illicites en France. Alors que certains propos haineux tombent ici sous le coup de la loi, ils sont considérés aux Etats-Unis - où se trouvent notamment Facebook ou Twitter - comme une opinion et sont protégés par le 1er amendement de la constitution. « C’est en train de changer, assure néanmoins le chef de l’OCLCTIC. Nous avons désormais avec eux des relations de confiance. »

Des signalements en augmentation

90 % des signalements reçus proviennent des internautes eux-mêmes. « Ce sont nos yeux et nos oreilles sur le Web », affirme François-Xavier Masson. Leur nombre augmente d’années en année. En 2009, Pharos en avait reçu 50.000. Un chiffre multiplié par trois l’année dernière et qui devrait rester stable en 2018. Pour faire face à cette hausse, les effectifs de la cellule discrimination, créée en 2015 et composée de quatre enquêteurs, devraient prochainement être étoffés, a annoncé récemment le nouveau ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.

*Le prénom a été changé