Stupéfiants: Les filières de blanchiment de l'argent sale se professionnalisent
BLANCHIMENT•Les trafiquants de stupéfiants font de plus en plus souvent appel à des professionels du blanchiment afin de sécuriser l’argent généré par leur activité criminelle…Thibaut Chevillard
L'essentiel
- Quarante personnes comparaissent depuis ce lundi à Paris dans le cadre d’une affaire tentaculaire de blanchiment d’argent issu du trafic de cannabis.
- Une affaire qui met en lumière la sophistication des mécanismes de blanchiment de l’argent sale.
Une affaire hors-norme. Quarante personnes, âgées de 29 à 80 ans, comparaissent depuis ce lundi devant le tribunal correctionnel de Paris dans le cadre du dossier «Virus». La justice les suspecte d’être impliquées, à des degrés divers, dans un vaste réseau franco-suisse qui recyclait les millions d’euros en espèces du trafic de cannabis en les faisant transiter par les comptes bancaires de fraudeurs fiscaux français et par des sociétés écrans. Un système complexe, parfaitement rodé, qui illustre l’ingéniosité déployée par ces équipes pour blanchir les liquidités générées par la vente de stupéfiants.
Depuis quelques années, les enquêteurs de la police judiciaire ont remarqué que filières de blanchiment s’étaient professionnalisées. Certaines équipes proposent ainsi leurs services à des réseaux de trafiquants « en manque d’expertise et de ressources internes » pour les aider à dissimuler la provenance de l’argent liquide, a expliqué vendredi la commissaire divisionnaire Cécile Augeraud à l’occasion de la présentation du rapport annuel du Sirasco (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée). Leur mission ? Éviter tout passage par le réseau bancaire traditionnel afin d’éviter de susciter la curiosité de Tracfin, la cellule de renseignement financier.
« Pacte verbal de blanchiment »
Ces organisations sont dirigées par un « superfacilitateur » ou « saraf » en arabe, « qui réside généralement à l’étranger », a détaillé la commissaire divisionnaire Corinne Bertoux, cheffe de l’OCRGDF (Office central pour la répression de la grande délinquance financière). « Il conclut avec les trafiquants un pacte verbal de blanchiment prévoyant notamment la forme sous laquelle ils vont ensuite récupérer les profits illicites : il peut s’agir de monnaie locale, d’ouvertures de compte bancaire à l’étranger, notamment dans des places offshore, ou de produits divers et variés », a-t-elle ajouté.
Composées de personnes de « confiance », ces équipes commencent par récupérer l’argent auprès des dealers. L’argent peut être transporté de façon classique, « caché dans des voitures ou dans des containers, ou par voie aérienne », a poursuivi Corinne Bertoux. Les fonds peuvent être ensuite transformés en produits à forte valeur ajoutée ou facilement transportables, tels que l’or, des bijoux ou des véhicules. En Allemagne, pointe notamment la commissaire divisionnaire, il n’y a pas de seuil maximum pour procéder à des achats en liquide…
Mécanismes de compensation
Ces professionnels du blanchiment ont aussi recours à des mécanismes de compensation variés, difficilement détectables. La police judiciaire a par exemple découvert que des membres de la diaspora chinoise, installés en région parisienne et spécialisés dans le commerce du textile, récupéraient « des liquidités importantes » provenant du trafic de stupéfiant. « En compensation, ils exportaient depuis la Chine, via un système de fausse facturation, des produits vers le Maroc » qui étaient ensuite revendus sur place, a raconté la patronne de l’OCRGDF. Permettant ainsi aux trafiquants de récupérer leur argent sur un compte à l’étranger.
Malgré le haut degré de sophistication de ces systèmes de blanchiment, les enquêteurs parviennent parfois à démanteler certains réseaux. Fin 2017, les limiers de l’OCRGDF sont parvenus à mettre hors d’état de nuire une équipe qui, en 18 mois, « avait blanchi plus de 70 millions d’euros ». 32 personnes avaient été interpellées, 17 écrouées. Les policiers ont également saisi 1,2 million d’euros d’avoirs criminels. Dans ce dossier, baptisé « Emporio », ils avaient également découvert l’existence de liens « entre des sarafs marocains et algériens ». « C’était un peu une première, a confié Corinne Bertoux. Chaque fois, on découvre de nouvelles méthodes employées. »