Drogue: «Les toxicomanes paient le produit environ 20 % plus cher mais ils sont livrés où ils veulent»
ENQUETE•Depuis quelques années, des dealers sillonnent Paris à scooter pour livrer de la drogue à des consommateurs de moins en moins enclins à se déplacer dans les cités pour «choper»...Thibaut Chevillard
«Tu veux du gâteau au chocolat ou du fromage blanc ? » Pierre*, 34 ans, vit à Paris. Consommateur de cannabis depuis plusieurs années, il a contacté par texto son dealer habituel afin de se réapprovisionner. En réponse, ce dernier lui demande subtilement s’il veut de la résine ou de la cocaïne. « Je vais prendre deux parts de gâteau », répond le jeune homme à son interlocuteur. Traduction : deux barrettes de shit « de bonne qualité » à 25 euros chacune. Quelques heures plus tard, un homme en jogging arrête son scooter devant son domicile. Le casque vissé sur la tête, il frappe à la porte et lui remet la drogue. La transaction n’aura duré que quelques minutes.
Comme Pierre, de plus en plus de consommateurs ne se déplacent plus dans les cités, dont certaines sont devenues de véritables supermarché de la drogue, pour trouver leur bonheur. « Je n’aime pas trop y aller, souffle le jeune Parisien. On ne se sent pas trop en sécurité, on ne sait jamais si on ne va pas se faire racketter ou arnaquer. Et il y a toujours un risque de se faire arrêter par la police sur le chemin du retour. Les agents de la Bac qui patrouillent voient tout de suite qu’on n’est pas du quartier. » Les dealers ont bien compris que leurs clients étaient prêts à payer un peu plus cher pour se faire livrer à domicile et ont su s’adapter à la demande.
« Je n’ai jamais été déçu sur la qualité »
« Les toxicomanes paient le produit environ 20 % plus cher, mais ils sont livrés où ils veulent, près de leur domicile. Le livreur arrive en scooter, en Uber ou à pieds. C’est très sécurisant pour l’acheteur », explique à 20 Minutes le commissaire divisionnaire Christophe Descoms, chef de la brigade des stupéfiants de la police judiciaire parisienne. Pour limiter les risques de se faire prendre, les vendeurs ont mis en place un système très sophistiqué de centrale d’appel. « Les clients appellent un numéro, tombent sur une sorte de standard qui prend les commandes et l’adresse. Il prend ensuite contact, avec un autre téléphone, avec un donneur d’ordre qui envoie les livreurs », poursuit Christophe Descoms.
La marchandise livrée est plus chère que dans la rue, elle aussi de meilleure qualité. « Si j’allais chercher mon shit dans une cité, je le paierais sans doute moins cher. Mais celui qu’on me livre est très bon, c’est de la 'frappe'. Avec ce dealer, je n’ai jamais été déçu sur la qualité », confie Pierre qui travaille dans la communication. Ce que confirme le chef de la brigade des stupéfiants. « Ces réseaux fournissent une marchandise avec une forte valeur ajoutée, comme de la cocaïne, de l'ecstasy, de la MDMA, ou de l’herbe de bonne qualité ». Les dealers réalisent ainsi une marge beaucoup plus importante que s’ils vendaient des produits de base.
« Un important travail de téléphonie »
Les précautions prises par ses réseaux rendent plus difficile leur identification et leur démantèlement. En effet, le livreur n’entre jamais en contact par téléphone avec les clients. « Cela nous oblige à faire un travail de téléphonie qui est beaucoup plus important, remarque Christophe Descoms. Pour démanteler l’intégralité d’un réseau - du gars en scooter à celui qui tient la centrale en passant par celui qui organise le trafic - il y a six mois de travail environ. » En 2017, la police judiciaire a démantelé 25 centres d’appel. Un chiffre qui devrait doubler cette année.
Le mois dernier, la police judiciaire a mis hors d’état de nuire trois réseaux de ce type. 19 personnes ont été interpellées à Paris, dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis. En tout, 580 g de cocaïne, 700 g de résine de cannabis, 1,2 kg d’herbe, 180 g de MDMA, 30.000 euros, trois armes de poing et un fusil à pompes ont été saisis par les enquêteurs. « Mais tous les jours, des types en scooter se font arrêter en possession de drogue et font l’objet de procédures », assure le patron de la brigade des stupéfiants. « Ensuite, nous centralisons toutes les informations qu’on a pour essayer de faire des rapprochements et remonter sur les centrales d’appel. »
*Le prénom a été changé