«Après Mai-68, il y a eu le sentiment qu'il était presque permis d'insulter ou de diffamer la police»
INTERVIEW•Le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, revient pour «20 Minutes» sur les évolutions en matière de maintien de l'ordre après Mai-68...Propos recueillis par Thibaut Chevillard et Caroline Politi
L'essentiel
- En Mai-68, certains dans les plus hautes instances ont prôné l'utilisation de la force pour mettre un terme à ce mouvement.
- Le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, revient pour «20 Minutes» sur les évolutions en matière de maintien de l'ordre après Mai-68...
- Va-t-on vers un nouveau Mai-68? Le préfet n'y croit pas.
Ils étaient de l’autre côté des barricades, insultés, hués et visés par des jets de pavés. Si Mai-68 a profondément marqué la société, il a également contribué à faire évoluer le maintien de l’ordre. Doctrine, tenue… A l’occasion du cinquantenaire des événements, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech revient pour 20 Minutes sur ce tournant.
En 1968, vous avez 15 ans et vous vivez bien loin de Paris, dans le Cantal. Comment percevez-vous alors ce mouvement ?
J’étais en seconde lorsque les « événements », comme on les appelait à l’époque, ont commencé. On en parlait en sortant des cours, cela entraînait parfois des discussions assez vives entre copains. Même si Mai-68 est avant tout un mouvement parisien, il y a eu des conséquences en province : la grève des trains ou des difficultés d’approvisionnement en carburant. Après la seconde nuit des barricades, je me souviens d’un vent de panique sur le thème du ravitaillement. Mon père était boucher-charcutier, les clients venaient faire des réserves. On était seulement 23 ans après la fin de la guerre, les gens n’avaient rien oublié des privations.
Hasard du calendrier, la France connaît actuellement un important mouvement social. Craignez-vous un nouveau Mai-68 ?
Certains cherchent en tout cas à faire le rapprochement, c’est probablement l’effet « anniversaire ». La littérature d’ultra-gauche regorge de références à Mai-68 : l’appel à faire comme les anciens, l’argument selon lequel rien n’a changé, la volonté d’une convergence des luttes… Mais le contexte est différent. En 1968, le pouvoir a été surpris. On était dans une période de croissance sans précédent, la jeunesse s’amusait, c’était la période des yéyé… Il n’y avait aucune réforme en cours. Les étudiants voulaient se libérer des carcans d’une société corsetée. La société d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de Mai-68.
En matière de maintien de l’ordre, peut-on parler d’un avant et d’un après Mai-68 ?
En mai 68, il y a eu des hésitations sur la marche à suivre. Certains dans les plus hautes instances, prônaient une utilisation extrême de la force. Heureusement, cette option n’a pas prévalu. Maurice Grimaud, le préfet de police de l’époque, a très vite compris l’enjeu d’image pour la police : les forces de l’ordre ont le monopole de la force mais doivent l’exercer au bénéfice de tous et dans le cadre de la loi. Si vous êtes maître de vous, les gens en face le sentent, le respectent. Les dérapages contribuent à renforcer le camp adverse. Aujourd’hui, le principe de base, c’est de ne pas aller au contact. Les gazeuses lacrymogènes, les bâtons de défense, c’est pour tenir à distance. Nous n’intervenons que lorsqu’on constate des exactions, que les casseurs passent à l’acte.
L’image des policiers a pourtant longtemps souffert des événements de 68…
C’est vrai, il y a eu toutes ces affiches, ces slogans. « CRS SS », c’est un peu daté mais ça a pesé sur plusieurs générations. D’une manière générale, après 1968, il y a eu ce sentiment qu’il était presque permis d’insulter ou de diffamer la police, notamment pendant les manifestations. Les enfants des baby-boomers ont grandi avec ça, ils l’ont transmis à leurs enfants donc il y a eu un effet d’image qui a été durablement atteint, injustement.
Qu’est-ce qui a changé ?
Le matériel s’est modernisé. En 68, les CRS portaient des cravates. Ni la tenue, ni le matériel n’étaient adaptés. Aujourd’hui, s’ils portent des coudières, des genouillères, c’est d’abord pour les protéger. Les tenues sont ignifugées, les visières adaptées aux jets de projectiles. Ces dernières années, nous avons été confrontés à des actes de violence inouïe. Les Black Blocs infiltrent les manifestations pour une seule raison : "casser du flic".