Un an après l’affaire Théo, la mémoire à vif de la cité des 3.000

Affaire Théo, un an après : La mémoire à vif de la cité des 3.000 à Aulnay-sous-Bois

REPORTAGEUn an après l’affaire Théo, du nom de ce jeune Aulnaysien victime d’un viol présumé lors d’une interpellation, le dossier est toujours en cours d’instruction…
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Une confrontation entre le policier et Théo devrait bientôt être organisée.
  • Trois des quatre policiers mis en examen ont été réintégrés.
  • Pour les habitants des 3.000, cette affaire a marqué les esprits.

Moult fois réécrits, les tags réclamant la « justice pour Théo » ou insultant les forces de l’ordre ont finalement disparu. Les abribus détériorés après les heurts qui ont suivi le drame ont été remplacés. En apparence, un an jour pour jour après ’interpellation particulièrement violente du jeune Aulnaysien de 22 ans, la cité des 3.000 a retrouvé son calme. L’information judiciaire « suit son cours », selon l’expression consacrée. Une confrontation doit être organisée sous peu entre le policier mis en examen pour viol – les trois autres le sont pour violences volontaires aggravées – et le jeune homme.

Mais entre les hautes tours de cette cité sensible de Seine-Saint-Denis, tous les habitants parlent d’un « avant » et un « après ». D’abord, parce qu’aux 3.000, Théo est une figure unanimement reconnue et respectée, un grand frère. Casier judiciaire vierge, fan de foot et investi dans le club local. Mais également à cause de la nature de la blessure. « On peut difficilement faire plus dégradant… », résume pudiquement Pape, 25 ans, un ami du jeune homme.

Les médecins ont diagnostiqué une fissure du canal anal d’une dizaine de centimètres et une section du muscle sphinctérien. Une expertise est en cours pour évaluer ses séquelles mais le jeune homme vit aujourd’hui avec une poche à stomie. « Je ne sais pas si l’affaire aurait fait moins de bruit si ça avait été un délinquant car les faits sont trop graves, poursuit le jeune Aulnaysien. Mais le fait que ce soit tombé sur un mec bien n’a pas arrangé les choses. »

Aulnay-sous-Bois, le 7 février 2017. François Hollande s'est rendu au chevet de Théo, blessé lors de son interpellation le 4 février.
Aulnay-sous-Bois, le 7 février 2017. François Hollande s'est rendu au chevet de Théo, blessé lors de son interpellation le 4 février. - Arnaud Journois / LE PARISIEN / AFP

Un vase trop plein

Le rapport de l’IGPN, la police des polices, concluant à un « accident » a été, pour beaucoup d’habitants, la goutte d’un vase déjà trop plein. Un signe que les autorités n’ont que peu de considération pour eux. Un an après l’affaire, une question revient sans cesse. Pourquoi les policiers incriminés ont simplement été laissés libre sous contrôle judiciaire. « Si ça avait été l’inverse, qu’un habitant d’ici était soupçonné de viol, il aurait été immédiatement en prison et tout le monde aurait trouvé ça normal », lâche Hakim*, 26 ans, en écrasant sa cigarette. La réintégration des trois fonctionnaires mis en examen pour « violences volontaires aggravées » a été vécue comme un affront supplémentaire.

Ce sentiment de « deux poids, deux mesures » n’a fait qu’accroître une défiance bien antérieure à l’affaire Théo, si bien qu’aujourd’hui le fossé population-police semble bien difficile à combler. « Le problème, c’est que rien n’a changé. Au fond, on espérait une prise de conscience, mais les contrôles sont toujours aussi rudes », confie Draman. Ce père de famille, qui a toujours vécu dans la cité, confie sa lassitude des contrôles quasiment hebdomadaires. « La semaine dernière, j’ai été contrôlé alors que j’allais chercher mes enfants à la maternelle. J’étais en retard, je crois qu’ils m’ont arrêté juste parce que je courais dans la rue. »

« Le problème, c’est que la défiance est mutuelle »

Depuis l’affaire Théo, beaucoup assurent que les contrôles se sont intensifiés, que de nouveaux dérapages ont eu lieu. Certains évoquent cet ado interpellé le 1er janvier. Une vidéo montrant un policier frappant le jeune homme à terre est devenue virale sur les réseaux sociaux. Une information judiciaire a été ouverte pour « mener des investigations supplémentaires » mais le policier n’a pas été mis en examen, a grand dam d’une partie des habitants.

Un peu moins de 200 personnes étaient rassemblées jeudi 9 février à Rennes, en soutien à Théo, jeune homme victime de violences lors de son interpellation à Aulnay-sous-Bois.
Un peu moins de 200 personnes étaient rassemblées jeudi 9 février à Rennes, en soutien à Théo, jeune homme victime de violences lors de son interpellation à Aulnay-sous-Bois. - MARTIN BERTRAND / AFP

Entre eux, ils s’échangent quelques noms de policiers ou de brigades, jugés plus virulents. Ceux qui « cherchent la merde », « parlent mal », « provoquent », expliquent des jeunes de la cité. A les entendre, la violence est avant tout verbale, les insultes sont fréquentes. « C’est quand on sort de ce quartier qu’on se rend compte que ce n’est pas normal ce qu’il s’y passe », résume Lila. La jeune femme, qui travaille dans les « beaux quartiers » parisiens assure n’avoir jamais été contrôlée ailleurs qu’à Aulnay.

Plusieurs tentatives pour renouer le dialogue ont été mises en place par la mairie. En mai, une journée de rencontres entre les jeunes et la police municipale a été organisée par la ville. Des réunions entre les habitants du quartier et des policiers ont été organisées par des collectifs citoyens. Fin décembre, la police municipale a lancé une brigade de contact et lien avec la population (BCLP), sorte de police du quotidien avant l’heure. « Le problème, c’est que la défiance est mutuelle. D’un côté, comme de l’autre, tout le monde est sur les dents. C’est ce qu’il faut réussir à changer », analyse, d’une voix sage, Mehdi.