JUSTICEComment les parents apprennent à vivre après la disparition d'un enfant

Affaire Maëlys: Comment les parents apprennent à vivre après la disparition d'un enfant

JUSTICEDeux mois après la disparition de Maëlys en Isère, les enquêteurs poursuivent leurs recherches. Mais pour les parents, l’attente est devenue un véritable calvaire…
Hakima Bounemoura

Hakima Bounemoura

L'essentiel

  • Les recherches menées depuis deux mois n’ont toujours pas permis de retrouver Maëlys, portée disparue depuis le 27 août en Isère.
  • Chaque année, près de 500 disparitions inquiétantes de mineurs sont signalées en France.
  • Avocats et associations tentent d'aider au quotidien les familles d'enfants disparus.

Deux mois d’attente, deux mois d’interrogations… Dans la nuit du 26 au 27 août dernier disparaissait la petite Maëlys lors d’un mariage organisé à la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin (Isère). Aujourd’hui, toujours aucune trace de la fillette de 9 ans. Les enquêteurs poursuivent leurs recherches, mais pour les parents, l’attente est devenue insupportable. « Notre seul souhait est de retrouver notre fille (…) Elle nous manque terriblement », confiait en larmes la mère de Maëlys lors d’une conférence de presse organisée le 28 septembre.

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Jusqu’ici, Jennifer et Joachim de Araujo n’avaient pas souhaité communiquer dans les médias afin de « préserver leur vie privée ». Face à une enquête qui s’éternise, les parents de Maëlys appellent aujourd’hui « toute personne susceptible d’aider les enquêteurs à se faire connaître ». Comme eux, de nombreux parents vivent dans l’attente de retrouver un jour leur enfant disparu. Car chaque année, près de 500 disparitions inquiétantes de mineurs sont signalées en France. Et une douzaine d’enfants portés disparus depuis plusieurs années sont toujours activement recherchés par leurs proches. Comment ces familles apprennent-elles à vivre au quotidien avec un tel drame ?

« Une plaie qui ne cicatrise pas »

Estelle Mouzin, Marion Wagon, Charazed Bendouiou… Autant de disparitions d’enfants qui ont fait la une des médias ces dernières années. Derrière ces « faits divers » se cachent des histoires familiales douloureuses. « La disparition d’un enfant est un véritable traumatisme pour les parents, une plaie ouverte qui ne cicatrisera jamais », explique à 20 Minutes Gwenaëlle Buser, psychologue-clinicienne au Centre français de protection de l’Enfance-Enfants disparus. « Au moment de la disparition, les parents sont dans un état de sidération, de choc. Ils sont en général dans une incapacité à penser, à verbaliser leurs émotions. C’est plus tard qu’ils recherchent de l’aide auprès des psychologues, quand la douleur commence à s’ancrer dans la durée », ajoute la thérapeute qui suit régulièrement une douzaine de familles.

« J’ai vu comment les parents de Maëlys accusaient le coup (…) Ces familles sont plongées dans l’horreur absolue, dans l’angoisse, la colère, la peur », confie à 20 Minutes Corinne Herrmann, avocate spécialisée dans les disparitions d’enfants qui gère une dizaine de dossiers similaires. « Ces gens ne vivent plus, leur enfant occupe toutes leurs pensées. C’est une douleur de toutes les minutes, même 30 ans après », précise l’avocate, également porte-parole de l’association « Estelle Mouzin ».

Médiatiser et communiquer « pour ne pas oublier »

Face à une enquête qui dure, « il est important pour les parents que l’on n’oublie pas leur enfant », explique Gwenaëlle Buser. « En tant que psychologue, ça consiste notamment à prendre des nouvelles très régulièrement, comme pour montrer notre volonté de ne jamais clore le dossier. » Pour les avocats des familles, continuer à communiquer est aussi fondamental pour faire vivre l’enquête. « Une affaire criminelle, c’est avant tout une affaire humaine. Mettre un visage sur un nom, c’est capital », avoue Corinne Herrmann.

« Continuer à communiquer », c’est aussi le combat quotidien d’Annie Gougue, présidente de l’association « La Mouette » créée après la disparition de Marion Wagon en 1996 à Agen (Lot-et-Garonne). « Nous continuons à distribuer des flyers, à coller des affiches… On ne veut pas que Marion soit oubliée », confie la sexagénaire à l’origine de la Journée internationale des enfants disparus qui se tient chaque année le 25 mai. « Le 14 novembre prochain, ça fera 21 ans jour pour jour que Marion a disparu. Sa famille garde toujours espoir qu’on puisse un jour enlever l’affiche géante collée à la permanence de l’association. »

Férouze Bendouiou, elle aussi, se bat depuis 30 ans pour que l’enquête concernant la disparition en Isère de sa petite sœur, Charazed, ne tombe pas dans l’oubli. Pour elle, le temps s’est arrêté à Bourgoin-Jallieu (Isère) le 8 juillet 1987. « Elle a ce côté nerveux en permanence, elle n’a jamais pu rester assise à ne rien faire… Elle est persuadée que Charazed est encore vivante, et l’idée qu’on puisse l’oublier lui est insupportable », explique Corinne Herrmann, qui se bat aux côtés des familles des « disparus de l’Isère » depuis plusieurs années.

« Convaincre les enquêteurs de ne jamais renoncer »

Mais le plus compliqué dans ce genre d’affaires, c’est de convaincre les enquêteurs de ne pas refermer l’instruction. « Au bout de 10 ans, souvent les affaires sont closes faute d’éléments nouveaux probants. Et c’est là que nous intervenons, en faisant pression médiatiquement pour que le dossier reste entre les mains d’un juge d’instruction », explique la présidente de l’association « La Mouette ».

Convaincre les enquêteurs de poursuivre leurs investigations, c’est aussi le travail des avocats. « Dans les premières semaines, les enquêteurs vont mettre tous les moyens nécessaires (…) C’est dans les années qui suivent que tout se complique. Nous sommes là pour les convaincre qu’il faut continuer à chercher », insiste Corinne Herrmann.

Les familles d’enfants disparus se heurtent aussi très souvent au système judiciaire français. Eric Mouzin se bat depuis des années pour améliorer le fonctionnement de la justice en France. Comme Maëlys, sa fille Estelle avait 9 ans lorsqu’elle a disparu le 9 janvier 2003 sur le chemin entre son école et son domicile à Guermantes (Seine-et-Marne). Depuis le début de l’enquête, six juges d’instruction ont été nommés. « Le dossier est tellement énorme que chaque magistrat met un an à le lire. A chaque fois, on redémarre de zéro… Les juges sont débordés, ils ne font plus leur métier correctement », déplore Eric Mouzin. Lui et d’autres parents se battent aujourd’hui pour la mise en place de juges spécialisés, mais aussi pour la création d’un site Internet gouvernemental consacré aux enfants disparus. « Depuis dix ans, on demande un fichier pour suivre les disparitions. La France est un des rares pays à ne pas savoir combien d’enfants ont disparu et dans quelles conditions. Une hérésie totale », selon Corinne Herrmann.