Quel est le point commun entre la Grande Arche de la Défense, l’Opéra de Sydney et le musée national de Bahreïn ? Tous ces monuments iconiques ont été conçus par des architectes danois. Depuis la création de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark en 1754, l’architecture est une forme de sport national au pays de La Petite Sirène. Sa métropole, Copenhague, s’est donc logiquement imposée à l’Union internationale des architectes (UIA) et à l’Unesco pour succéder à Rio de Janeiro au rang de Capitale mondiale de l’architecture.

Ce titre honorifique est décerné pour une durée de trois ans. La ville lauréate, qui accueille le congrès international de la discipline, devient un laboratoire d’idées et une scène pour de nombreux événements. Selon le président de l’UIA, Thomas Vonier, « les architectes peuvent voir le monde tel qu’il est, et tel qu’il pourrait être ». De 2023 à 2025, Copenhague sera ainsi à la confluence des réflexions sur la ville de demain.

L’audace danoise

« Être ou ne pas être » : telle est la question existentielle que se posait le prince Hamlet dans son château de Kronborg. Située au nord de Copenhague, dans la ville d’Helsingør (Elseneur), cette forteresse royale, où Shakespeare a placé le cadre de sa tragédie, est un remarquable exemple d’architecture Renaissance. Son inscription au patrimoine mondial, en l’an 2000, impliquait le déménagement du Musée maritime du Danemark qu’il abritait. Mais pour relocaliser ce musée, Helsingør fut également confronté à l’interdiction par l’Unesco d’élever un nouveau bâtiment dans le périmètre du château.

Pour contourner le problème, une compétition d’architecture fut lancée. Le projet retenu fut celui du studio de Bjarke Ingels (BIG) qui proposa un musée sous-terrain, dont les salles d’exposition circuleraient en pente douce autour d’un dock vide. Ouverte en 2013, après six années de travaux et de défis techniques, cette réalisation est une introduction spectaculaire à la capacité d’innovation danoise.

À Copenhague, le grand canal portuaire est le site de toutes les expérimentations. Après des siècles de trafic maritime, son nettoyage fut entrepris dans les années 1990. En 2001, ses eaux furent déclarées assez propres pour inaugurer un premier bain public. Aujourd’hui, la ville en compte onze. Entre deux plongeons sous les lignes épurées de l’Opéra et du futur complexe d’habitations durables Papirøen, habitants et visiteurs sont invités à déambuler sur la large promenade qui longe le Théâtre royal. Un peu plus loin, c’est une extension de la Bibliothèque royale baptisée Le Diamant noir qui dresse sa masse sombre au bord de l’eau.

Le plus impressionnant de tous ces bâtiments contemporains est sans doute l’empilement de cubes, façon Lego, appelé BLOX. Cette sorte de ville dans la ville, réunissant un hub de recherche, un restaurant, une salle de sport et des résidences, a été conçu pour le Centre d’architecture danois (DAC), dont les expositions démontrent comment les bâtiments influencent nos vies.

L’humain au cœur de la ville

En s’appuyant sur des symboles esthétiques, l’architecture permettait jusqu’au XIXe siècle d’exprimer une volonté politique ou des idées philosophiques. Une révolution s’opéra dans les années 1930, lorsque le modernisme d’Arne Jacobsen fit primer la fonction des bâtiments sur leur forme. Puis, dans la seconde moitié du XXe siècle, l’humain fut enfin placé au cœur des réflexions. Appelé Finger Plan, le plan d’aménagement urbain de Copenhague prenait dès lors en compte le bien-être de la communauté, avec des espaces dédiés aux loisirs et à la culture.

C’est dans ce contexte que sont apparues, dans la capitale danoise, les premières rues piétonnes d’Europe. L’usage du vélo, quant à lui, s’est imposé après la publication, en 1971, du manifeste Pour des villes à échelle humaine par l’architecte Jan Gehl. Désormais ancrée dans le quotidien des Danois, la bicyclette donne à Copenhague des airs de ville de province. Toutes ses rues disposent d’une piste cyclable. Des ponts sont même réservés aux cyclistes et aux piétons, comme Inderhavnsbroen (le pont du port intérieur) et Lille Langebro (le long petit pont), reliant tous les deux le centre-ville au quartier de Christianshavn, ou le spectaculaire Cirkelbroen, dont les éléments circulaires s’articulent pour laisser passer les bateaux.

De nouvelles problématiques

Régulièrement classée parmi les villes où il fait le mieux vivre au monde, Copenhague ne cesse de se densifier. L’espace venant à manquer pour ses 653.000 habitants, faire preuve d’ingéniosité est devenu une nécessité. La ville s’y emploie en combinant sur certains sites des fonctions habituellement séparées. Sur la place Israels, par exemple, une cour de récréation scolaire a été intégrée à une zone piétonne publique. Le grand terrain de jeux Konditaget Lüders a, quant à lui, été installé sur le toit d’un parking de Nordahvn. Dans ce quartier, on s’efforce aussi de rénover et de réaffecter les bâtiments plutôt que d’en créer de nouveaux. Quelques centaines de mètres séparent ainsi les styles hétéroclites des tours Portland, The Silo et Spidsen af Nordø, toutes les trois d’anciens entrepôts reconvertis en appartements et en bureaux.

Après avoir placé l’humain au cœur de ses préoccupations, l’architecture contemporaine se heurte à de nouvelles problématiques d’ordre environnementales. Copenhague a pris définitivement conscience des enjeux climatiques lorsqu’un déluge inonda ses rues en juillet 2011. Mandatée pour imaginer des espaces adaptés à ce type d’épisodes météorologiques, la firme SLA a converti la place Sankt Kjelds en espace vert capable d’absorber de grands volumes d’eau. Des bassins ont également été creusés pour faire face à de futurs débordements. Dans l’attente, ils servent de terrains de sport.

À quelques kilomètres du centre-ville, Amager Bakke, appelée aussi CopenHill, est une prouesse architecturale réunissant plusieurs fonctions dans un esprit de durabilité. C’est encore le studio BIG qui en est à l’origine. Coiffée d’une piste de ski et flanquée du plus haut mur d’escalade du monde (85 mètres), CopenHill est un incinérateur de déchets fournissant chaleur et électricité. Récompensée par le titre d’Immeuble de l’année lors du Festival mondial d’architecture 2021, c’est une des installations les plus performantes d’Europe en termes d’impact environnemental. Elle représente un atout décisif pour Copenhague, qui ambitionne de devenir la première capitale mondiale neutre en carbone, à l’horizon 2025.